En ces temps de confinement, il fait bon se replonger dans les senventies, époque bénie où les hippies traînaient leurs breloques dans les campagnes paumées. La Grande Artiste, l’Inoubliable Agnès Varda, nous entraîne à son tour dans l’univers de ces deux copines à la destinée et au caractère bien différents. Le film, si coloré et étincelant soit-il – à l’image de son affiche complètement acidulée – expose des sujets graves. Bien sûr, il y a l’émancipation de deux femmes et de toutes les autres… mais l’on y parle aussi du suicide, de l’exil, et de la difficulté pour un artiste à gagner son pain…
Flammes et destinée
Varda, narratrice, nous conte les parcours croisés de Pomme (Valérie Mairesse) et de Suzanne (Thérèse Liotard). La première, lycéenne, retrouve la seconde, fille-mère et bientôt abandonnée par celui qu’elle aime, un photographe marié et sans-le-sou. Le film s’ouvre sur les photos de cet artiste besogneux : des portraits de femmes en noir et blanc. La mine triste et lassée, certaines posent avec leurs enfants… Pomme arrive dans le studio. Elle retrouve Suzanne, avec ses deux marmots. Malheureuse, celle-ci lui avoue qu’elle est de nouveau enceinte. Pomme, prête à tout pour aider son amie, vole ses parents et donne l’argent à Suzanne pour qu’elle aille se faire avorter en Suisse… Dix ans passent et les revoilà.

Une histoire de femmes, donc. En plein débat sur la légalisation de l’avortement en France (apparition expresse de Gisèle Halimi, la célèbre avocate du Procès de Bobigny), Varda fait chanter ses personnages. Celle qui chante, justement, libre comme l’air, s’enflamme pour un mystérieux inconnu. Brun ténébreux, patte d’eph et brushing, Darius emmène Pomme chez lui, en Iran. La chanteuse rêve puis déchante (justement…) ; au pays des mille et une nuits, la jeune femme grandit et des envies nouvelles lui effleurent l’esprit : d’abord le mariage traditionnel puis l’enfant qui vient bientôt chasser tous ses rêves de flamme libre et dégourdie. Pomme repart à Paris…
Cartes postales et chansons douces
Curieuse, l’amitié qu’entretiennent les deux femmes est avant tout épistolaire : des cartes postales par dizaines envoyées l’une à l’autre… Suzanne habite maintenant dans le sud de la France où elle élève ses deux enfants. La fille de paysans est devenue directrice du planning familial local… une revanche sur la vie mais pas sur la solitude qui traverse son regard noir et qui nous atteint en plein cœur. Celle que l’on croyait être la plus fragile se révèle. La flamme forte, c’est elle.

Avoir le choix. C’est de ce choix-là dont nous parlerons toujours car le choix implique la liberté. Pomme et Suzanne choisissent et vivent leur vie. L’une vagabonde et chanteuse, l’autre remariée. Et les hommes, compagnons d’infortune, “père-fils” à leur image ou mari d’un séjour, laissent à elles toutes une histoire d’amour et des larmes à peine séchées. Concluons enfin : qu’elles soient rebelles, bulles, blessées, amères ou contrariées, nos héroïnes se relèvent et poursuivent la vie qu’elles ont parfois donnée.
L’une chante, l’autre pas, d’Agnès Varda. Avec Valérie Mairesse, Thérèse Liotard, Robert Dadiès… 2h00.
Sorti le 9 mars 1977.