On vous abreuve de recommandations, et avec les pépites qui sortent sur les plate-formes plus secrètes, les films de patrimoine qui n’attendent plus que vous pour jeter des yeux amoureux dessus, il est impossible, si le cinéma vous transporte, de s’ennuyer durant ce confinement. Après tout, qu’est-ce qu’on s’en fout des Bloodshot, Black Widow, Fast & Furious quand des immenses classiques, bien plus qualitatifs, vous attendent à la maison ? Nouvelle occasion de consommer différemment et d’élever ses exigences, c’est vers un documentaire, par le patron Bertrand Tavernier, que l’on vous dirige aujourd’hui.
Voyage À Travers Le Cinéma Français est de ces documentaires qui, après pourtant 3h, nous donnent envie d’en voir encore plus. Décliné par la suite en une série de neuf épisodes d’une heure chacun, voilà douze heures de programme intense et d’un intérêt enrichissant que l’on vous suggère d’aller voir. Le voyage, c’est celui de Bertrand Tavernier qui, tout en déclinant son amour inconditionnel et son savoir intarissable pour le cinéma français, effectue un véritable travail de mémoire. Il incorpore sa découverte d’un cinéma qu’il a dévoré étant jeune, mais y appose aussi des anecdotes personnelles, et parle de réalisateurs qu’il a connu, voire avec lesquels il a collaboré. Ce qui permet, au-delà des analyses toujours très poussées quant aux œuvres qui ont permis à Tavernier d’établir sa cinéphilie et sa vocation, d’apporter des éléments réels, hors de la simple analyse, apportés par les instigateurs eux-mêmes des films dont il est question.

Le métrage est peuplé d’extraits en tous genres, commentés par Tavernier, qui apparaît de temps en face cam pour raconter son rapport à eux, et d’interviews, interventions en tous genres, que ce soit par des réalisateurs, compositeurs, critiques, représentants cinématographiques (on retient, par exemple, un entretien avec Thierry Frémaux)… On se concentre sur quatre décennies, des années 30 aux années 60, et trois heures de temps sont bien trop courtes pour tout aborder. Décortiqués, les cinémas de Jean Renoir, Marcel Carné ou encore Jean-Pierre Melville sont également recontextualisés, expliqués par le prisme d’une époque. Dans un grand passage consacré à Jean Gabin, on y voit l’animosité envers Renoir, le collaborateur fuyard qui a apporté son plein soutien au régime de Vichy, qu’il conclue lui-même en déclarant « Le metteur en scène était grand, l’homme était une pute ». Langage fleuri, que Tavernier s’amuse à montrer par le biais de ces scènes où les dialogues n’avaient pas le même type de littérature, et où le/la spectateur·ice s’amuse d’entendre ses répliques bien senties qui faisaient l’apanage des Michel Audiard de cette époque.

Alors on vous prévient. Si vous êtes asociaux·ciales ces derniers temps, ça ne va pas aller en s’améliorant. Car chaque scène, chaque analyse clamée par ce grand amoureux du cinéma donne envie de se plonger sur toutes les œuvres sur lesquelles vous poserez les yeux. Face à un tel érudit qui connaît son sujet par cœur, on ne peut qu’être charmé·e, et avoir envie à notre tour d’agrandir notre culture. Voyage À Travers Le Cinéma Français est d’une sincérité débordante, propose une multitude de portes d’entrées vers une richesse cinématographique que l’on a tendance à bien trop oublier.
Voyage À Travers Le Cinéma Français, de Bertrand Tavernier. 3h21
Sorti le 12 octobre 2016