Qu’il est beau comme un sou neuf, Joe Buck. Armé de son plus beau costume de cowboy, témoin de son Texas natal, voici que le jeune homme, bourré d’ambitions, prend la route de la Grande Pomme. Son idée, basée sur la persuasion qu’aucune femme ne lui résiste : devenir gigolo. Qu’il est beau de se bercer d’illusions. Dans une ville qui a déjà vu bien des loustics se pointer avec leur naïveté en avant, c’est un piège incisif qui attend le jeune homme, et avec lui le spleen des rêves brisés.
Car si Joe Buck se sent pionnier dans l’entreprise de l’auto-proxénétisme, il se rend rapidement compte qu’il n’est en rien un Père Fondateur des joies de la couche. Après avoir essuyé de nombreux refus, coup dur pour l’ego qui doit accepter que finalement, la résistance féminine existe – et peut-être que la drague de rue n’a rien d’une séduction acceptable –, la première femme qui accepte un épisode de mise-en-vrac de couette à ses côtés n’est autre qu’une prostituée elle-même, qui n’hésite pas à lui réclamer son dû quand lui espérait marchander le sien. La réalité rattrape, et avec elle la précarité de Joe, qu’il imaginait inversée dès son arrivée dans la ville gratte-ciel. Perdu au milieu des bozos et autres désincarné·es que la cité digère en un jour deux mouvements, il fait la rencontre de Rizzo, compagnon de galère inattendu, prétendant avoir un carnet d’adresses aussi important que son handicap lui permet de mobilité. Ensemble, les deux drôles retournent la ville, à la recherche de ce succès inaccessible, qu’ils transforment peu à peu en volonté de fuite vers un nouvel Eden.

Avec Macadam cowboy, John Schlesinger s’inclut parfaitement dans les thématiques chères au Nouvel Hollywood. Un récit de jeunesse, d’émancipation mais aussi de découverte de soi, ayant pour but de questionner (dégommer) les valeurs américaines, d’honorer celleux que la société de l’Oncle Sam se complaît à garder à la marge. Dans son costume texan, Joe représente le héros U.S, le John Wayne par excellence, qui débarque avec ses grands sabots et s’affirme à coups d’une virilité et d’un mépris des autres (des femmes) qui semble la norme. Le dominant devient dompté, victime des circonstances tant qu’il cherche à continuer à épouser ses convictions premières, résultat d’une éducation rigide et normative quand son identité est bien plus nuancée, notamment autour de ses propres désirs, qui se rapproche plus d’une bisexualité libérée que de cet écrin masculiniste dans lequel il cherche à s’enfermer. Jeunesse et idiotie, tout cela se traduit par le visage rond, au yeux d’un bleu marin de Jon Voight, qui nous semble rapidement candide et doté d’une fausse assurance, lui qui continue à s’aveugler lorsque nous ne sommes plus, depuis longtemps, dupé·es. Un état d’esprit houleux, en proie aux doutes lorsqu’il s’agit de remettre en cause jusqu’à ses désirs sexuels, lui qui parvient plus à s’affirmer auprès des hommes, se découvrant des pulsions jusqu’alors inconnues, et ne parvenant plus à bander auprès des dames que lorsque ses dernières lui envoient ses symboles rassurants (masculinistes) à l’oreille. À quelques générations près, il aurait fallu lui parler de grillades pour qu’il relève le mandrin, et qu’il continue à masquer son homosexualité pourtant évidente, que nous voyons éclore à mesure que les costumes changent, deviennent plus chatoyants et, au final, moins stéréotypés.
Transformer ses parias en héros presque nobles, tel est le pari que relève Schlesinger. La première rencontre avec Rizzo nous apparaît comme désincarnée, le jeune homme – Dustin Hoffman, qui joue dans Le Lauréat deux ans plus tôt, en semble vingt de plus – représentant tout ce que Joe pourrait devenir s’il continue à suivre son chemin mortuaire. Rizzo, lui, est en bout de course. Handicapé, incohérent, il ne se nourrit que de ces jeunes ouailles qui s’offrent à lui, les entraînant vers la débauche qui l’a emporté et achevé, n’ayant plus le recul nécessaire pour véritablement essayer de s’en sortir. Entraînant son comparse vers le tiers-proxénétisme, il s’improvise mac, n’y voyant qu’un pigeon dont il peut tirer quelques billets, avant de voir le parti pris qu’il pourrait obtenir d’une telle amitié, celui de la liberté qu’il a un jour tant désirée. Le duo devient essentiel, renouant avec des rêves les éloignant de leur condition, mais les forçant à y rester pour pouvoir les accomplir. À travers ces portraits, Schlesinger présente une idée fataliste du sort réservé aux jeunes dans une Amérique déjà morte, et où toute tentative de survie ne peut que mener au trépas. Comme une antithèse du film de Mike Nichols cité plus haut, le bus, que nous retrouvons dans les deux finalités, apporte à Benjamin et Elaine – nos héro·ïnes du Lauréat – le bonheur d’une nouvelle vie, là où ici, c’est la mort qui attend Joe et Rizzo, comme si les points de non-retour étaient atteint. C’est avec les flashbacks, disséminés dans une séquence où le montage s’improvise de la Nouvelle vague, que nous comprenons que Joe n’en est pas à sa première vie, ni à ses premières erreurs, et qu’à ce titre, il sera puni de continuer ses aventures dans la mauvaise voie.

Fataliste, mais empli d’espoir, c’est une teinte douce-amère qui entoure Macadam cowboy. Montrer la jeunesse en perdition, qui à défaut d’avoir des repères viables dans une éducation forcenée, qui ne permet aucun épanouissement, se rattache à ce qu’elle peut, c’est aussi la faire parler, lui offrir une voix dans un monde auto-centré qui utilise alors son art pour sublimer ses vieilles légendes sans regarder autour de lui. Temporellement, le film est l’un des piliers, base du mouvement qui dynamita jusqu’à la fin des années 70 des codes bien trop suturés par tous bords, et s’inscrit dans la définition même du Nouvel Hollywood : un cri de colère, où les oublié·es et parias ont droit d’exister, et d’être représenté·es.
Macadam cowboy, de John Schlesinger. Avec Jon Voight, Dustin Hoffman, Sylvia Miles… 1h53
Sorti le 15 octobre 1969