Lors de nos déambulations sur la plateforme e-cinema, nous ayant permis de découvrir l’exceptionnel A Taxi Driver, notre regard s’est porté sur un autre représentant de la péninsule asiatique, La Mémoire Assassine. Film qui a bien plus fait parler de lui par chez nous, ayant gagné le prix du jury au festival de Beaune. Deux heures et une expérience sensitive plus tard, le constat reste inchangé : le cinéma coréen a définitivement de beaux jours devant lui et il serait grand temps qu’il soit distribué de manière bien plus généreuse sur nos terres.
Memoir Of A Murderer – le film a plusieurs titres en France – nous expose l’histoire de Kim Byeong-Soo, tueur en série redoutable, se rassurant sur ses méfaits en choisissant ses victimes selon le danger qu’elles représentent envers la société, ces gens qui « méritent de mourir », leitmotiv établi depuis son premier meurtre, son propre père, dont il subissait la violence. Il nous est présenté des années plus tard, alors qu’il atteint une phase bien avancée d’un Alzheimer qu’il a développé suite à un accident de voiture. Désormais éloigné de son passif d’assassin, Byeong-Soo est un homme tranquille, qui tente d’exercer son métier de vétérinaire tant bien que mal, mais dont la mémoire commence vraiment à faire défaut. Alors que de nouvelles vagues de meurtres sévissent dans la région, il fait l’objet d’un nouvel accident – mineur cette fois -, avec un policier. Examinant le voiture de ce dernier, il y découvre du sang, et décide d’en emporter un échantillon. Le policier, froid et distant, lui semble louche, d’autant que quelques jours plus tard, Byeong-Soo le voit se rapprocher amoureusement de sa fille. Une course contre la montre, contre lui-même et sa capacité à mémoriser les faits, est engagée.
Memento, version maîtrisée
Le jeu de mémoire prend une ampleur particulière, quand Byeong-Soo devient son propre ennemi. Enregistrant avec un dictaphone – quand il y pense – l’avancée de son enquête pour les moments où en l’espace d’une seconde, il ne sait plus où il est ni ce qu’il est en train de faire, les doutes l’assaillent quant à la véracité de ce qu’il entend sur une bande dont il ne se souvient d’aucun fait. Sa fille qui ne le voit que comme un hystérique tentant de s’interposer dans sa relation, les policiers connaissant son état de santé et ne pouvant le prendre au sérieux, tout joue contre lui. Sans son précieux objet, les moments de perdition où il accepte la vérité établie font foison, avant de resurgir dès lors qu’il appuie sur lecture. Bipolarité caractérielle pour le pauvre homme, qui ne peut faire entendre raison et se retrouver seul à pouvoir dénouer le mystère. Won Shin-Yun joue sur les ellipses, certaines scènes semblant continues étant en réalité espacées, quelquefois de plusieurs jours, pour caractériser ces moments de trou, pour un personnage qui se perd dans ses élucubrations, et nous rend confus·es par la même occasion.

Pourtant, la volonté de clarté du récit ne laisse aucun doute. Les faits marquants, déterminants pour l’histoire nous sont présentés de manière frontale, et il ne s’agit pas pour nous de savoir si Byeong-Soo a toute sa raison, mais comment il va réussir à se dépêtrer de sa situation malencontreuse. Le danger qu’il oublie régulièrement est pour nous bien réel, et l’accentuation de la violence à l’écran renforce nos doutes sur l’issue du récit. En cela, et par cet aspect très graphique, Won Shin-Yun se rapproche de Na Hon-Jin et de son diptyque The Chaser / The Murderer. La violence devient un étau, le montage prend de la vitesse à mesure que l’histoire avance, pour nous perdre dans un espace de plus en plus restreint. En cela, le réalisateur s’amuse à mélanger les codes du polar et de l’action, pour un résultat détonant et addictif.
Mais au-delà d’un récit policier intense, La Mémoire Assassine n’oublie pas de dresser un portrait humain. L’identité face à la perte de mémoire prend un nouveau sens pour cet homme ne pouvant plus ressentir de culpabilité face à des exactions qu’il ne se souvient pas avoir commises. Nous sommes devant un être loin de son passé meurtrier, qui a trouvé la repentance en perdant une partie de sa santé mentale, et tout nous amène à le soutenir. Une réflexion également sur la dualité de l’homme, la bonté qui peut se terrer dans l’esprit des personnes les plus abjectes, et sur ces secondes chances quant à l’héritage moral que l’on laisse derrière soi.

On ne met pas en doute le jury de Beaune, le festival nous envoyant régulièrement des perles inattendues – El Reino, pour exemple -, et ce Memoir Of A Murderer est un excellent cru. Un métrage qui nous rappelle que le cinéma coréen est toujours l’un des plus intéressants du moment, et qu’il y a de sacrés morceaux à rattraper.
La Mémoire Assassine (Memoir Of A Murderer) de Won Shin-Yun. Avec Seol Kyeong-Gu, Kim Seol-Hyun, Oh Dal-Soo….1h58.
Film de 2017, disponible sur e-cinema