Que faire quand, alors qu’il est déjà difficile de joindre les deux bouts, le coût de la vie augmente ? C’est la question que se poser Miso, elle qui pour garder un certain confort décide d’abandonner ce qui semblerait inconcevable dans une liste de plaisir à sacrifier : son propre toit.
À vrai dire, Miso, on la comprend. La crise du logement à Séoul est l’une des plus importantes, et trouver une habitation décente est un sacré parcours de la combattante. Entre l’humidité inquiétant la salubrité des lieux, les loyers exorbitants pour des pièces ridicules qui n’ont d’appartement que le nom, la réalité des logements en entre-sols (vous vous rappelez la piaule des Kim dans Parasite ? C’est monnaie courante dans les grandes villes coréennes), se loger décemment est un luxe réservé aux classes les plus aisées. Sauf que les choix drastiques qu’elle entreprend ne sont pas dus à la hausse des loyers, mais celle du prix de ses addictions. En effet, c’est en réalisant qu’elle serait contrainte d’arrêter de fumer (et le prix du paquet passant littéralement du simple au double, on imagine la frustration) qu’elle décide de franchir le pas, et de choisir ce qu’elle est prête à arrêter. Qu’est-ce qu’un toit bien à soi lorsqu’on a des ami·es ?

Miso parcourt la capitale, sa courte liste d’ancien·nes ami·es en main, déterminée à les reconquérir et les convaincre de l’héberger quelques temps, à tour de rôle. Jeon Go-Woon utilise ce postulat pour nous présenter un panel de portraits de la société coréenne, et surtout montrer les situations et carcans qui enferment les habitant·es dans une certaine frustration. Heureusement que c’est par le périple de Miso que nous les rencontrons, tant leur portrait est d’une mélancolie intense, que la jeune femme allège par sa philosophie libertaire et sa force à toute épreuve. On découvre cette femme, enfermée dans un mariage forcé, qui assiste mari et beaux-parents et s’octroie une soirée de bonheur par l’arrivée de son amie ; cet homme qui, à peine jeune marié et endetté pour vingt ans dans l’achat d’un appartement, vit d’alcool et de dépression suite au départ prématuré de son épouse; cette famille qui doit sembler bonne sous tous rapports pour convaincre Miso d’épouser leur fils et ne plus vivre dans le déshonneur ; cette amie plus riche, se croyant charitable mais ne pouvant supporter les élans de liberté qu’elle prend pour une provocation. Une société où les femmes doivent trouver un mari et s’en occuper, se retrouver à l’abri dans un ménage riche, et où les hommes doivent travailler, diriger la source financière du foyer. Les deux genres devant évidemment être mariés avant un certain âge sous peine de vivre dans la honte, créant nombre de foyers finissant en divorces, en mariages forcés, et les violences qui vont avec.

Le parallèle avec la situation amoureuse de Miso se fait, et son impuissance face aux inquiétudes et tribulations de son compagnon, Han-Sol, qui malgré le fait que la jeune femme lui répète qu’elle n’en a pas besoin et que seul leur amour compte, se torture de ne pouvoir lui apporter foyer et argent. Seule solution pour lui : l’armée, qui propose salaire et logis, lui permettant d’économiser pour apporter à sa promise la vie qu’il « doit » lui fournir lorsqu’il aura complété sa mission. Nouvelle épreuve, nouveau sacrifice pour obtenir une bulle de bonheur, elle aussi éphémère car remplacée par d’autres pressions et contraintes.
Microhabitat n’a pas la prétention de donner une solution concrète aux portraits proposés, si ce n’est celle de nous montrer le parcours de Miso, qui en choisissant de s’affranchir des normes coréennes devient aussi une paria sociétaire, une indésirable. Un film-miroir, nous montrant la réalité sur cette société du paraître qui entraîne ses représentant·es dans la course à la performance, aux jugements faciles dès lors que l’on ne remplit par les cases. On espère qu’il trouvera écho dans l’esprit des coréen·nes, à qui il appartient de faire bouger les choses.
Microhabitat, de Jeon Go-Woon. Avec Esom, Ahn Jae-Hong, Choi Deok-Moon… 1h46
Sorti en France le 1er novembre 2018, disponible actuellement sur Outbuster