L’amour, ce n’est pas que l’obsession des plus grand·es. Nos jeunes bambins font elleux aussi leurs expériences, souvent plus douloureuses quand il s’agit des premier·es émois et déceptions, mais qui conservent ce caractère pur, touché par la grâce, de l’amour. Alors que nous avons admiré Adoration de Fabrice du Welz, narrant la fuite de deux enfants fous l’un·e de l’autre devant l’incompréhension des adultes, nous aurions trouvé dif?cile de ne pas dresser un parallèle avec Moonrise Kingdom (2012).
Suzy aime Sam et Sam aime Suzy, cela ne fait aucun doute. Un simple échange de regards et une correspondance passionnelle les mettent à l’évidence : iels doivent fuir leur quotidien et aller vivre leur amour loin des autres. Les autres : la famille de Suzy, qu’elle ne comprend plus à mesure qu’elle grandit, et le camp de scouts de Sam, seul repère puisqu’orphelin, passant de foyer en foyer. Retranché sur une île minuscule, le jeune couple sait que sa retraite sera courte, et que chaque minute est un moment précieux à savourer. Les inquiétudes des enfants, passant de leur amour à vivre au combat pour rester ensemble, font écho à celles du monde adulte qui les entoure. Wes Anderson utilise un double ?ltre pour traiter des mêmes problématiques, des dif?cultés que l’on rencontre dans nos vies et dont les solutions semblent si évidentes quand on les regarde avec des yeux d’enfant. Moonrise Kingdom traite avant tout de l’amour impossible. Impossibilité pour ces enfants d’être ensemble alors que les adultes font tout pour leur interdire, impossibilité pour Mrs Bishop (Frances McDormand) de vivre une vie épanouie avec son amant, le Captain Sharp (Bruce Willis). Contradiction lorsque cette même mère interdit à Suzy de revoir Sam, elle qui est également en quête de liberté. Les adultes sont obsédé·es par le bien-être des enfants, l’équilibre qu’il faut leur apporter, et sont totalement aveuglés par le fait que ces dernier·es ont tout compris à ce qui les rend heureux, et à ce dont iels ont besoin. Thème récurrent chez Wes Anderson, que l’on voyait déjà dans Rushmore (1998), La Vie Aquatique (2004) voire même dans le couple principal du Grand Budapest Hotel (2014) : l’innocence comme source d’illumination et d’intelligence.

Ce thème de la passion à tout prix est disséminé dans un métrage truffé des gimmicks d’Anderson, qui atteignent ici une certaine apogée. On y retrouve le ton « conte de fée », narré à la manière de Pierre Et Le Loup, et le rôle du narrateur (Bob Balaban) accentue cet aspect hors de toute temporalité. Comme il le montre aussi dans The Grand Budapest Hotel ou L’Île Aux Chiens, Wes Anderson est un amoureux de ces histoires intemporelles qui peuvent se raconter et se réadapter à travers les âges. La mise en scène joue de tout : les contrastes alambiqués, notamment lors des séquences orageuses, les musiques décalées – un régal de voir nos deux amoureux·ses danser sur Le Temps De L’amour de Françoise Hardy –, tant dans les écoutes de personnages que dans la bande originale d’Alexandre Desplat qui ne manque pas d’espièglerie, les plans sur les maisons qui font penser à des villages de poupées… Surtout, s’il pousse le vice jusqu’à en atteindre une limite parodique dans le métrage suivant, la symétrie est bien présente. Comme une marque de fabrique que l’on remarque instantanément chez Anderson, chaque plan est travaillé au millimètre, souvent découpable en deux parties distinctes qui se répondent. Ce qui donne au visuel un cachet unique, dans la veine de ce que propose son auteur.
Ce qui marque particulièrement dans Moonrise Kingdom, c’est l’amour que l’on ressent immédiatement pour tous ces personnages. Même l’antagoniste Social Services (Tilda Swinton) nous apparaît sympathique tant le trait est forcé, et cache sous ses grands airs une véritable envie de servir l’intérêt des enfants. Les scouts qui font des misères à Sam deviennent ses alliés dès que le bien commun devient ?gure de proue, et, à la manière d’un conte de fées, tout le monde s’entraide et s’embrasse dans une farandole ?nale. Il y a malgré tout un ton grave, parlant du manque de repères des orphelins, la déconnexion des mondes enfants et adultes qui peinent à se comprendre, mais qui est annihilé par la volonté d’Anderson de rester dans un esprit léger, positif et aimant, à l’image de son couple principal. Moonrise Kingdom est une épopée, une invitation à l’aventure qui ne peut que charmer, et une ode au romantisme qu’il serait malheureux de rater. On reste scotché à son écran par des visuels qui ?attent la rétine sans interruption, et cette petite histoire, sans complexité mais non sans profondeur, nous touche en plein cœur.
Moonrise kingdom, réalisé par Wes Anderson. Écrit par Roman Coppola et Wes Anderson. Avec Kata Hayward, Jared Gilman, Frances McDormand… 1h34
Sorti le 16 mai 2012
[…] Fantastic Mr Fox et L’Ile aux Chiens, autant que ceux en prises de vues réelles tel Moonrise Kingdom ou The Grand Budapest Hotel. Nombreux perçoivent une ostracisation du cinéma d’Anderson, dont […]