Lorsque la dernière adaptation du Crime de l’Orient Express a vu le jour sur nos écrans, nous avons été ébloui·es par un tel exploit. En effet, comment la relecture d’une histoire qui n’a besoin que d’être déroulée pour se sublimer tant la précision de ses arcs est exemplaire peut être aussi foirée ? Un casting quatre étoiles où personne ne parvient à démontrer d’une once de justesse, une photographie insipide couplée à une mise en scène qui en fait des tas, appuie tout, tout le temps. L’arrogance du film, qui se prend pour un génie des temps moderne, est à mettre en miroir avec celle de Kenneth Branagh, qui malgré son rôle auto-casté d’Hercule Poirot est le véritable coupable ici. Le britannique a maintes fois prouvé que se mettre en scène lui confère un melon incroyable, la persuasion d’être la noblesse du cinéma incarnée, que nous retrouvons en tous points dans cette seconde adaptation, Mort sur le Nil. Pourtant, il n’y a qu’un seul génie dans la pièce, et si l’Académie n’est pas d’accord sur la féminisation du terme, nous nous risquerons à l’appeler une : Agatha Christie.
Cela dit, cette Mort sur le Nil n’est pas la proposition la plus brillante de l’autrice. Si le récit a du faire sensation en son temps, ce mystère a depuis trop été décliné, et ne confère pas le lot de surprises que L’orient express ou les Dix petits nègres – pour ne citer qu’eux – traînent avec eux. On ne peut par conséquent pas affirmer au/à la novice qu’iel sera a minima sublimé·e par l’histoire, celle-ci étant assez prévisible. C’est bien la mise en scène qui doit ici primer, et les choix de Branagh s’inscrivent dans la lignée de sa filmographie défaillante : prétentieux et surfaits. À la photographie infecte, qui fait passer chaque plan comme sorti d’une chute de la dernière pub Chanel – encore que ces dernières ont une volonté visuelle – se mêlent des effets ridicules, que Branagh, dans ses envies de grandiloquence, n’a pas l’intelligence de minimiser. Ainsi, nous sommes contraint·es de subir des panoramiques et autres plans d’ensemble sur un bateau numérique qui nous rappelle que Titanic n’a pas tant vieilli de ses 20 ans d’ancienneté, et l’incrustation du casting dans des fonds verts dégueulasses fait constamment tiquer. On pense à la scène des pyramides, où chaque champ/contre champ sur Poirot et “Bouc”, son ancien camarade de front (aucune inquiétude, vous aurez droit à un flashback dont le noir et blanc fait redouter le pourtant attendu Belfast, pour vous conter cet origin story bien dispensable) vous fera accélérer votre prochaine demande de devis chez l’ophtalmo. Pire, ce qui aurait pu apparaître comme un choix, la volonté de jouer d’un effet bling-bling pour caractériser cette croisière soi-disant parfaite histoire de pouvoir salir le grain à mesure que les meurtres et les faux semblants prennent le pas, devient une énième déception lorsque nous comprenons qu’aucune autre idée que “ça doit clinquer” n’a traversé la tête du cinéaste, qui n’en peut plus de se pavaner sous tous les angles. Ça a coûté 90 millions, ça veut en faire des caisses et ça pique à chaque instant, bel exploit.

Face à un cas d’école habituel, on se raccroche aux wagons qui restent, ici le casting. Malgré de faibles exigences, celles-ci ne sont tout de même pas comblées. L’ensemble est insipide et frôle le ridicule. Aux choix incompréhensibles de Russel Brand, Jennifer Saunders et Emma Mackey s’ajoute Gal Gadot, qui pour garder une certaine continuité dans la fadeur de ses performances ne compte pas enfin briller. Son seul avantage est d’incarner Linnet Ridgeway-Doyle, première victime qui lance le cluedo. À l’instar de Johnny Depp dans l’Orient Express, ce sont celleux qui veulent jouer le moins qui partent les premier·es. Hors des polémiques qui les entourent, les habituellement agréables Laetitia Wright et Armie Hammer sont à la ramasse, leurs personnages étant sous-exploités ou devant s’esclaffer dans de rares moments d’éclats, qui les précipitent dans le surjeu. Seule à mener la barque, Annette Benning a le mérite de péter la classe, ce que visiblement Branagh a compris, bien que ce soit la seule chose qu’il choisisse d’accorder à un personnage qui pourrait apparaître bien plus complexe. Trop sérieux pour obtenir le charme d’autres whodunit, pas assez appliqué pour clamer le même sérieux, le tout est un bien étrange mélange, difficile à supporter.

Selon une partie de la rédaction, Belfast, qui arrive sous peu, rappelle que lorsque Kenneth Branagh est impliqué dans un récit intimiste, il parfait ses efforts. Peut-être faudrait-il pour lui arrêter de jouer dans une cour qui n’est pas la sienne, tant il enchaîne les désillusions et moments de gêne. Mort sur le Nil n’est pas pire que certaines sorties de route qui nous ont apporté de rares moments d’hilarité – The Ryan Initiative en tête –, mais n’est pas mieux non plus. La réunion d’instagrameur·ses en croisière vers Dubaï l’insipide dure 2h de trop, et en voir quelques-un·es se faire zigouiller n’est qu’une maigre consolation.
Mort sur le Nil, de Kenneth Branagh. Écrit par Michael Green, d’après le roman d’Agatha Christie.
Sorti le 9 février 2022
Je ne suis pas d’accord avec toi ! Certes ce film manquait de finesse, était un peu maladroit et aurait pu être mieux exploité, mais les personnages restaient bien travaillés. Les détails sont présents, certes c’est une adaptation plutôt libre de ce roman et crois-le, moi qui suis fan d’Agatha Christie, moi aussi cela me fait mal de voir certains passages bâclés ou “mis au gout du jour”!
L’ambiance du livre est plutôt bien retranscrite à l’écran, et certains mauvais jeux d’acteurs sont justifiés par des soupçons plus ou moins fondés dans l’enquête…
Alors oui, ce film a couté (trop) cher, mais chacun peut y trouver son compte, que cela soit pour les décors (qui auraient pu être réalisés en Egypte, qu’on se le dise), le casting tout aussi incroyable que dans le premier film, ou l’intrigue.
Hey ! Merci de ton commentaire, et de ne pas tomber dans la vindicte (que j’aurais pu métier pour mon ton assez taquin !). Effectivement, nous aurons du mal à être d’accord ! Sur le jeu d’acteur·ices, je te rejoins quant à celleux induits par les soupçons, qui sont contraint·es au double jeu, mais je trouve qu’une fois leur réalité dévoilée, ça ne suit pas pour autant. Après, j’ai beaucoup de mal avec le style beaucoup trop “m’as-tu-vu” de Branagh, que je lui reproche sur la quasi totalité de ses films, et je trouve que la mise en scène, notamment quand les effets et décors sont aussi faux, veut trop en faire. Après, je conçois que l’ambiance est bien retranscrite, cet aspect futile et faux pouvant servir le jeu de faux semblants et de jeux de pouvoirs, mais ça n’a pas marché sur moi. Pour le casting idem, on rejoint son cinquième film, “Beaucoup de bruit pour rien” :p Mais si tu as apprécié, je n’ai évidement pas à juger cela, les points de désaccords sont toujours importants pour nuancer un avis !
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