Qu’il est grisant de commencer l’année 2022 avec une aussi belle ressortie. Juliet Berto a commencé devant la caméra des plus grands avant de s’atteler derrière la caméra en 1986 avec Havre. Son premier film, Neige, elle le tourne en 1981 avant de tragiquement mourir des suites d’un cancer du sein en 1990 à l’âge de 42 ans (elle aura eu le temps de tourner deux autres films avant). Un film tout en délicatesse (aidé à la caméra par Jean-Henri Roger) malgré les sujets abordés, qui sera récompensé au Festival de Cannes avec le Prix du jeune cinéma.
Anita est barmaid à “La Vieilleuse”, et est une jeune femme pleine de vie dont Willy est tombé amoureux. Jocko quant à lui est le pasteur de la Sainte-Trinité. Ce drôle de trio connaît bien Bobby, gosse antillais du coin qui, pour gagner sa vie, deale de l’héroïne. Entre fête foraine endiablée et amitiés au cœur de la Goutte d’Or, la drogue et la police ne sont jamais bien loin et peuvent faire basculer leur équilibre précaire à tout instant.
Les quartiers Nord de Paris (Pigalle, Barbès & cie) ne sont pas forcément les quartiers les plus prisés. Gangrénés par la violence et la drogue, très souvent stigmatisés dans les films les médias, le quartier de la Goutte d’Or et ses alentours trouve ici un nouveau visage. Loin des codes du thriller et du film policier, Neige se laisse d’abord porter par une galerie de personnages éclectiques mais aussi authentiques, une envie profonde du duo derrière la caméra pour mieux capter l’ambiance, les gens et leurs interactions. Toute la première partie prend presque des allures de documentaire lorsque la caméra suit les aventures des protagonistes principaux à travers les ruelles, dans le bar ou à la fête foraine. La direction de la photographie offre un grain ravissant, chaud et rassurant avant de nous rappeler à la dure réalité du sempiternel combat entre police et dealer·ses de drogue, marquant un tournant dans le film.

Juliet Berto et Jean-Henri Roger arrivent à capter quelque chose de presque unique. Même si l’histoire que l’on suit est celle du petit peuple, celleux sur lesquel·les on s’attarde rarement, elle est dynamisée par une mise en scène généreuse. On reste ébloui·e par les scènes tournées dans la fête foraine, un régal pour les yeux et pour les oreilles, les musiques qui s’entrechoquent, se mêlent, se chevauchent pour éveiller les sens. Un véritable spectacle comme pour donner une nouvelle dimension à ces gens et ces quartiers. C’est bien pour ça qu’aucun personnage ne se détache totalement du lot, créant une certaine homogénéité. Les personnages vaquent ci et là, se retrouvent le temps d’un instant, s’aiment, se courent après, vivent, tout simplement. Le seul personnage auquel on peut se raccrocher (et dont l’écriture est aussi belle que complexe) et qui nous fascine tout du long c’est bien Anita (jouée par Juliet Berto elle-même), une femme indépendante parfois au ton agressif, lunatique, loin du genre de personne qu’on apprécie au premier regard. Pourtant, on ne peut que s’attacher à cette femme aux phrasés aussi poétiques que profondément tristes. Une âme écorchée au milieu de ce dédale parisien.
Dans une version restaurée qui redonne toutes ses lettres de noblesse au formidable travail du duo Berto/Roger, Neige est une jolie fable, un témoignage de la petite histoire et ses petites gens… avec leurs petits problèmes qui n’en sont pas moins importants.
Neige de Jean-Henri Roger, Juliet Berto. De Marc Villard. Avec Jean-François Stévenin, Juliet Berto, Robert Liensol… 1h30
Sortie le 20 mai 1981
Ressortie le 5 janvier 2022