Pour son premier long-métrage, Yohan Manca, acteur et metteur en scène, adapte la pièce d’Hédi Tillette de Clermont Tonnerre Pourquoi mes frères et moi on est parti. Sélectionné à Cannes dans la sélection « Un certain regard », le film dresse une image touchante de la fraternité tout en gardant une certaine distance par rapport à ses personnage et aux stéréotypes de la comédie sociale à la française.
Nour vit avec ses trois frères aînés (Abel, Mo et Hedi) dans un appartement d’une cité avec sa mère sous assistance respiratoire. Les enfants veulent la garder chez eux jusqu’à la fin alors que leur oncle souhaite l’emmener à l’hôpital. Alors que le benjamin effectue des travaux d’intérêt généraux à l’école, il entend des élèves s’entraîner à chanter sur La Traviata, qu’il connait grâce à son père (italien) décédé. Sarah, la professeure, lui propose de rester et d’exercer sa voix.
Le synopsis illustre les intentions initiales du réalisateur et scénariste : mettre en place plusieurs personnalités et histoires sous un arrière-plan social. Tout cela est déjà vu dans le cinéma français mais Yohan Manca arrive à faire émarger les différentes personnalités pour ne pas les enfermer dans le prisme du misérabilisme. Nour est le fil conducteur du récit, oscillant entre la fraternité dans l’appartement (qui peut aussi devenir une forme de colère) et son envie de développer sa voix avec l’opéra, un art qu’il ne méprise pas. Abel est l’aîné et doit contenir ses frères et lui-même face à la moindre contrariété en jouant le rôle du père. Mo et Hédi sont les autres frères et tout les oppose. Le premier est un apprenti gigolo se targuant de prendre de l’argent en donnant du plaisir alors que le deuxième est le plus écorché, toujours sur les nerfs et prêt à devenir une menace pour lui-même et pour sa famille. Tous ses membres se réunissent autour de la volonté de leur mère de rester chez elle jusqu’au bout, sans aller à l’hôpital. Une volonté qui les pousse dans leur retranchement et à trouver de l’argent facilement. L’émotion des enfants dans le respect de cette décision est tissée avec beaucoup de cohérence dans un récit qui les fait exister indépendamment des autres et coexister ensemble.

Judith Chemla interprète parfaitement Sarah, la professeure, avec la douceur et l’intensité nécessaire. Un personnage qui sait où est sa place et ne devient pas envahissant, laissant le libre arbitre aux autres. Un rôle qui évite la figure de la« sauveuse blanche » des productions françaises. Mes frères et moi se distingue en plaçant l’art pratiqué, l’opéra (et pas celui qui fait pratiquer) au-dessus de tout, offrant des moments touchants entre Nour et sa professeure.
Manca évite également le pathos lancinent et le misérabilisme environnemental en ne situant pas exactement la localisation de l’action ni le moment à laquelle elle se situe, c’est une cité durant un été, pas besoin d’en savoir d’avantage. Il offre aux spectateur·ices plusieurs moments très drôles (Sofian Khammes est hilarant) sans forcément révolutionner le film initiatique mais en proposant des étapes crédibles de la vie d’une fratrie face au (futur) décès d’un parent et d’un jeune garçon qui se cherche encore.
Mes frères et moi réalisé par Yohan Manca et écrit par Yohan Manca et Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. Avec Maël Rouin Berrandou, Judith Chemla, Dali Benssalah… 1h48
Sortie le 5 janvier 2022