Commençons par une petite énigme. Je suis l’un des réalisateurs de cinéma dit commercial les plus importants des années 80 et 90. On me doit notamment une franchise avec l’un des monstres les plus emblématiques du cinéma de science-fiction, l’une des sagas les plus populaires du cinéma d’action, et les premiers pas sur grand écran d’un personnage phare de la littérature d’espionnage. Malgré ces faits d’armes, mon nom est depuis tombé dans l’oubli, et mon travail toujours pas reconnu aux États-Unis, même s’il l’est devenu en France (merci la Cinémathèque). Pour ceux qui n’ont pas trouvé, je suis John McTiernan.
Le cas de John McTiernan est en effet très particulier. Ses grands succès sont très célèbres, ont engendré des franchises (Predator et les films mettant en scène Jack Ryan après À la Poursuite d’Octobre Rouge), et son travail est largement copié à l’époque comme en témoigne la « Die Hard-sploitation » après le carton de Piège de Cristal (Die Hard 2, Piège en Haute Mer, Passager 57, Speed, Mort Subite…) ou la démocratisation de l’action filmée en caméra portée – popularisé par la saga Jason Bourne – qui trouve ses origines dans Une Journée en Enfer.

Au-delà des réussites commerciales citées, le cinéma de John McTiernan se caractérise par une approche intellectuelle de l’action dont il faut chercher les origines dans sa formation à la Juilliard School of New York (où il étudie le théâtre intellectuel de Bertolt Brecht et viscéral d’Antonin Artaud) ainsi qu’à son apprentissage de la mise en scène en étant assistant du réalisateur tchécoslovaque Jan Kadar (dont l’approche consiste à faire de la caméra un narrateur de l’histoire, pensant la mise en scène comme un compositeur de musique) et son approche héritée du cinéma de Fellini, Bertolucci ou Verhoeven.
En 1986, pas grand-chose ne laisse imaginer que ce jeune réalisateur de 35 ans s’apprête à révolutionner le cinéma d’action américain. Son premier film, Nomads, passe inaperçu aussi bien en salles qu’auprès de la critique. L’anecdote veut néanmoins qu’Arnold Schwarzenegger visionne un jour le film. Impressionné par l’atmosphère du film malgré son maigre budget, l’acteur autrichien insiste alors auprès de Joel Silver pour engager le réalisateur pour diriger Predator après le désistement de Geoff Murphy.

Nomads est un film à part dans la carrière de John McTiernan à plus d’un titre. Il s’agit d’abord du premier et unique scénario écrit par le réalisateur (bien qu’il ait en partie réécrit tous ses films), ce dernier ayant détesté l’expérience. Il s’agit ensuite de sa seule incursion dans le cinéma fantastique, basée sur sa propre impression en arrivant à Los Angeles. Une ville où – selon lui – rien n’est réel, ni l’environnement, ni les gens que l’on croise. Enfin, le récit avance à l’aide de flashbacks en parallèle à l’histoire principale, procédé qu’il n’utilise à nouveau que dans Basic, soit son dernier film en date.
Le film débute sur la mort de l’anthropologue français Jean-Charles Pommier, amené d’urgence à l’hôpital. Dans un dernier sursaut avant sa mort, il révèle un secret au docteur Flax, jeune médecin restée au chevet du français. Peu après, elle revit les derniers jours de Pommier, qui enquêtait sur un gang de punks qui se révèle être une tribu de nomades démoniaques. Il est difficile par moments à la vision de Nomads d’imaginer que son auteur est le réalisateur de Piège de Cristal. Contrairement à ce dernier, le premier film de McTiernan est très ancré dans les années 80 et fait daté, par sa bande son, plusieurs passages nocturnes et choix d’effets de mise en scène comme les ralentis lors de l’attaque finale de la maison. Par ces aspects, Nomads est très clairement identifié comme un film des années 80.

Difficile de ne pas tiquer devant l’interprétation aléatoire de l’ensemble du casting, même si Pierce Brosnan se montre convaincant pour son premier rôle au cinéma. Il faut néanmoins parvenir à passer outre son accent français ridicule, surtout lorsqu’il se met à parler dans la langue de Molière. En dehors de ces défauts, attribuables autant à l’époque qu’au manque d’expérience du réalisateur, le film parvient rapidement à devenir captivant par la capacité du cinéaste à déployer une ambiance angoissante à travers la représentation de ce groupe de nomades et des jeux de lumière faisant ressortir leur aspect maléfique (voir à ce titre également l’excellente séquence des nonnes dans le bâtiment abandonné), et par la paranoïa qui habite progressivement le personnage de Pommier.
Nomads contient surtout nombre de thématiques identifiables à leur réalisateur. La connexion quasi télépathique entre Pommier et Flax est le premier exemple chez McTiernan de personnages qui parviennent à communiquer et se comprendre par la pensée, sans jamais se rencontrer : McClane et Powell, Billy et le Predator, Jack Ryan et Marko Ramius, Ibn Fahdlan et le groupe de vikings. De même, la menace représentée par ce groupe de punks révélant une autre facette est une constante chez le réalisateur. Du Predator au commando de Hans Gruber puis de son frère Simon, en passant par les Wendols et la Section 8. La menace chez McTiernan n’est jamais ce qu’elle semble être, quand elle n’est pas tout simplement inexistante (les soviétiques dans À la poursuite d’Octobre Rouge).

Au-delà de ses thématiques, on reconnait Nomads comme un film de John McTiernan par sa facture visuelle et son approche de la mise en scène. On y retrouve cette caméra en mouvement, qui raconte l’histoire en soulignant les réflexions et émotions des personnages, décrypte leurs expressions tel un anthropologue. Une science étudiée par le réalisateur qui l’accompagne dans toute sa carrière. Plusieurs idées servent ici de brouillon pour ses films suivants, tel un plan filmé en plongée qui préfigure la mort d’Hans Gruber dans Piège de Cristal, ou encore une gestion millimétrée de l’espace, permettant de situer à tout moment les personnages dans l’action. Enfin, le cinéaste y déploie déjà son jeu avec les parasites optiques qui prend tout son sens lorsqu’il filme sous format cinémascope dans ses films suivants. Une manière pour le réalisateur d’indiquer que ce qui se déroule à l’écran est réel et enregistré par une caméra, et non pas représenté.
Difficile de classer Nomads dans les plus grands films de son auteur tant il s’apparente à un brouillon de sa future carrière. Néanmoins le film se révèle une expérience angoissante et captivante, ainsi qu’une véritable curiosité pour découvrir les prémices du cinéma d’un grand réalisateur.
Nomads, de John McTiernan. Avec Pierce Brosnan, Lesley-Anne Down, Anna Maria Monticelli… 1h31
Sorti au cinéma le 21 Mai 1986, en Blu Ray le 19 Novembre 2020.