Alors que de nombreux blockbusters tentent en vain d’atteindre un degré de gigantisme proportionnel à la gestion émotionnelle du récit, Guillermo del Toro nous offre en 2013 un sommet de spectacle explosif et de proportions humanistes, dissimulant dans son monstre de blockbuster un rapport au deuil qui mériterait une déclaration d’amour quotidienne pour tout ce qu’il accomplit. Voici donc notre déclaration du jour à ce qui devrait être une leçon de film mainstream aussi gigantesque qu’intime.
L’ouverture du long-métrage se fait forte en évocation par sa transformation d’un paysage à priori étoilé pour en révéler sa nature maritime. L’usage d’images d’archive appuyé par une voix off permet de créer une sensation de tangibilité dans l’univers décrit. Bien que l’on aborde un récit de robots géants face à des monstres géants, Pacific Rim appose déjà des bases narrativement solides et riches en réflexions (la place de la politique dans cet univers, la facilité d’apparence que prend le combat, le besoin d’union entre deux esprits, etc.). Cette installation permet de mieux appréhender les enjeux de ce monde tout en jouant sur la suspension d’incrédulité de l’audience et en amenant un gigantisme de point de vue par sa multiplicité avant de reprendre des enjeux plus humains (le drame qui s’ensuit se fait plus intime).

Bien que l’utilisation de cette voix off de départ fasse craindre un film trop explicatif, celle-ci est rapidement évacuée afin de mieux aborder sa narration par ses visuels. Le jeu d’échelle permanent de Pacific Rim participe à la grandiloquence de son spectacle tout en conservant le regard humain essentiel au long-métrage. La place des protagonistes apporte un cœur, voire une âme dans la machine, tout en créant une forme d’humanité dans ces Jaeger plus grands que nature. La connexion rend tout dégât plus brutal encore, à l’instar de son drame d’ouverture, tout en amenant une réflexion sur le partage du deuil dans une étape de guérison intime. C’est ainsi que le rappel des personnages à l’intérieur ainsi que différents éléments naturels ou artificiels permettent de mieux créer une sensation d’ampleur, ce qui rend le divertissement plus prégnant encore.
On peut également noter l’usage de la colorimétrie en tant que moteur thématique et émotionnel. En plus de profiter d’une large palette à ce niveau (ce qui change de certains blockbusters bien trop gris pour être honnête), il s’en crée une sensation d’univers autre à la manière d’un conte, genre peut-être essentiel pour une plongée optimale dans le film. Del Toro perpétue cette réflexion de la couleur comme symbole incandescent des émotions de nos personnages, à l’instar du restant de sa filmographie. On pense ainsi à ce flash-back à Tokyo, où une chaussure rouge symbolise un cœur meurtri, ou aux codes couleurs de nos deux protagonistes principau·ales·x, dont l’union à partir d’un moment permet d’appuyer le besoin l’un de l’autre dans leur évolution personnelle. Si certain·e·s tentent de copier le style coloré et l’usage de certains néons pour mieux exprimer un gigantisme de façade, il faut reconnaître que Guillermo del Toro sait mieux faire usage du pouvoir d’évocation des couleurs pour mieux raconter certaines histoires de fond et autres réflexions sous-jacentes avec une facilité presque déconcertante par sa simplicité d’usage et son efficacité de résultat.

La thématique du deuil, du pardon et du besoin d’exprimer sa douleur s’avère centrale dans la narration, amenant une profondeur émotionnelle qui manque désespérément à pareils spectacles. Cet équilibre entre gigantisme de spectacle et intimité des enjeux crée une résonnance sentimentale forte ainsi qu’un ancrage plus humaniste. Bien que l’écriture des personnages joue de certains archétypes, ce n’est jamais au détriment des répercussions de l’histoire mais pour mieux créer une humanisation de forme et de fond. C’est un traitement de point de vue qui enrichit le film tout en sachant se dresser sur le fil de la dramaturgie, gérant mieux son mélange par un propos premier degré dans un monde crédible mais ne s’empêchant aucune pique humoristique (notamment par Newton, dont l’arc traite de l’inconséquence que l’on peut ressentir devant pareil spectacle « cool »).
Le regard vers le futur qui s’y crée se révèle alors passionnant, obligeant chaque protagoniste à avancer pour mieux se développer. Une séquence en flash-back pousse un personnage à exhorter l’autre de ne pas se renfermer dans un souvenir si destructeur que le déroulé des événements risque de mettre à mal tout ce qui a été développé par l’avant. C’est l’une des nombreuses récurrences narratives du cinéma de Del Toro : le passé est destructeur, ses réminiscences peuvent amener à un blocage personnel. Et encore, ce n’est qu’une étape qui enrichit un long-métrage plus dense qu’il n’y paraît, surtout au vu de ce que véhicule chaque personnage, comme un Jaeger dirigé vers un besoin d’aboutissement. La masculinité exacerbée de Chuck Hansen, les craintes paternalistes de Stacker Pentecost, les pertes partagées de Mako et Raleigh, … Tout cela aurait pu être vain ou encore mal dégrossi mais participe à l’avancée individuelle de chacun·e (bien aidé en ce sens par un casting sachant traiter l’équilibre tonal du long-métrage) et à apporter un fond émotionnel fort dans ce qui aurait pu n’être qu’un simple outil promotionnel de jouet ou une lettre d’amour vaine aux films de Kaiju.

On pourrait ergoter encore et encore sur ce qui fait de Pacific Rim un des meilleurs divertissements des années 2010 et même un modèle à suivre par ses accomplissements multiples mais soyons franc·he·s, aucun mot à son propos n’aura autant d’impact que le voir. 8 ans après sa sortie, le film de Guillermo del Toro conserve ainsi son éclat, son spectaculaire, son drame et sa puissance visuelle dans un long-métrage dont on ne louera sans doute jamais assez les diverses louanges. Arrêtez de lire cette critique et allez tout de suite (re)voir Pacific Rim : vous nous en remercierez plus tard.
Pacific Rim de Guillermo del Toro Avec Charlie Hunnam, Idris Elba, Rinko Kikuchi… 2h10.
Sorti le 17 juillet 2013