Sorti en 1992, Basic Instinct a subi un raz-de-marée de critiques et de défiances sur la seule base de son scénario : un thriller érotique où une riche jeune femme, autrice et bisexuelle, est accusée de meurtre et de manipulation. Paul Verhoeven, le réalisateur, est taxé de misogyne, de biphobe et de sexiste sur sa seule note d’intention : vouloir mettre en scène ce scénario. Presque 30 ans plus tard, il est toujours important de le rappeler : voyez les œuvres !
Nick Curran (Michael Douglas) mène une enquête sur le meurtre d’un homme au pic à glace. Cet homme entretenait une relation uniquement sexuelle avec Catherine Tramell (Sharon Stone), autrice à succès de romans policiers et héritière de la fortune de ses parents. La jeune femme est toute désignée comme coupable du crime, ce qui ne semble pas l’inquiéter, sûre de son innocence. Une assurance qui trouble Nick, de plus en plus attiré par Catherine à mesure que les meurtres se succèdent…
Une femme chevauche un homme au lit, lui attache les poignets et le poignarde avec un pic à glace au moment de l’extase. Paul Verhoeven nous fait entrer dans cet univers par cette première scène de meurtre sanglante. « Filmez les scènes d’amour comme des scènes de meurtre » disait Hitchcock, une filiation assumée par le réalisateur hollandais dans Basic Instinct. Le scénario original n’est qu’un point d’ancrage dans un univers où la mise en scène est maîtresse.
Le film est structuré par plusieurs scènes d’actes sexuels assez détaillées (surtout pour l’époque) qui ont toutes pour point commun d’avoir la mort comme possible issue. Le suspense est total jusqu’au moment de l’extase où le personnage masculin peut y rester. La scène d’introduction sert de point d’accroche pour le/la spectateur·ice qui s’attend à chaque instant charnel à voir l’homme trépasser. Verhoeven reproduit ces scènes presque à l’identique avec cette longue musique angoissante en filmant l’homme qui se laisse dicter par ses désirs et la femme qui le domine jusqu’au moment final où il n’est plus du tout maître de rien, prêt à affronter la mort sans défense, fragilisé par ses vices.
Le rapport à la faiblesse de ce personnage masculin est également une filiation de Verhoeven pour Vertigo d’Hitchcock. Nick Curran est un enquêteur fragile, solitaire, facilement manipulable et toxicomane/alcoolique. Les deux sont également hantés par une tragédie professionnelle (avoir tué deux touristes pour Nick) qui bouscule leurs rapports sociaux. Nick ne trouve du réconfort que dans ses addictions (le sexe, l’alcool et la drogue). Catherine Tramell sera celle de trop pour lui. Une personne perverse et intelligente à qui les hommes (comme les femmes d’ailleurs) ne semblent pas pouvoir résister.
Basic Instinct est aussi un rapport de soumission entre Nick et Catherine. Elle le domine sous tous les aspects. Elle est riche et heureuse dans sa profession, il est pauvre et frustré par son métier. Il se laisse totalement dicter par ses pulsions alors qu’elle est capable de les gérer pour arriver à ses fins : Nick tombe totalement sous son emprise alors qu’elle se sert de lui pour l’écriture de son prochain roman. Sur ce rapport entre les personnages, Verhoeven place la femme au centre de toutes questions et en fait la pièce maîtresse de son jeu : c’est elle qui dicte sa loi. Elle est capable de se maîtriser quand l’homme est trop faible et fragile pour repousser la moindre pulsion. La scène du rapport sexuel forcé entre Nick et Elisabeth, la psychologue, illustre totalement ce désordre masculin, tout comme le personnage de Gus, le collègue et seul ami de Nick, un machiste en pleine misère sexuelle et sentimentale.

Cette femme au centre de tout est parfaitement représentée par la (mythique) scène de l’interrogatoire. Catherine trône comme une souveraine dans un espace qui lui dédié alors que les enquêteurs se tassent tous autour de petites tables. Tandis que la caméra se rapproche d’elle par des zooms, les enquêteurs doivent se pencher pour apparaître dans le cadre. La caméra fait l’effort pour elle mais pas pour eux. Sa chevelure blonde et sa robe blanche (encore un hommage à Vertigo) illumine la pièce alors que les hommes portent tous des costumes foncés. Les plans larges offerts à Catherine lui permettent de régner sur l’espace clos, les enquêteurs devant se contenter de gros plans, s’intensifiant à mesure qu’elle domine leurs échanges verbaux, qui reflètent leur faiblesse et leur intimidation (suées, souffle court, regard entre eux, questions voyeuristes…) au moment du fameux croisé-décroisé. La scène est censée nous montrer une femme accusée qui doit se défendre et des hommes qui doivent lui poser des questions mais c’est elle qui impose sa loi avec une assurance et une aisance à toute épreuve en fumant et par des questions qu’elle pose directement à Nick devant ses collègues. Elle l’isole de tous en déjouant cette domination institutionnelle (policiers-accusée).
Avec son personnage de Nick, Paul Verhoeven s’intéresse à la volonté de déclin d’un homme manipulé et humilié par une femme qui évolue dans des univers (sociaux, sexuels et sentimentaux) bien trop éloignés de lui. La répétition des scènes de sexe/meurtre balaie aussi bien nos peurs que le voyeurisme de notre société, il joue avec ces codes pour pousser à la compréhension de nos bas instincts. Tout le récit est filmé par les yeux de Nick, que le/la spectateur·ice suit dans sa dépravation personnelle et dans son enquête, Catherine se découvre (coupable ou non ?) jusqu’à la toute fin du film. Sa trajectoire et son caractère représentent la crainte de notre société : quelqu’un (une femme surtout) qui ne peut être contrôlé et qui va même contrôler des personnes de l’institution. Et c’est Verhoeven le misogyne…
Basic Instinct de Paul Verhoeven. Avec Michael Douglas, Sharon Stone, Daniel von Bargen. 2h10
Sortie le 8 mai 1992 au cinéma.
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