Sorti mi-juillet sur Netflix, Persuasion est le dernier-né de la série d’adaptations du travail de Jane Austen qui inonde le petit comme le grand écran depuis les années 90. Le film adapte le dernier roman de son autrice et nous introduit Anne Elliot, jeune femme en fin de vingtaine, qui retrouve son ancien amant Wentworth, huit ans après qu’elle ait été forcée par sa famille de refuser sa demande en mariage en raison de son manque d’argent. Triste et mélancolique, le livre est probablement le plus sérieux et le plus poétique de la carrière d’Austen qui nous présente des personnages humains et sensés, le tout agrémenté d’une prose magnifique. Bref, tout ce qui semble manquer à son adaptation.
Dans le roman, Anne Elliot arrive à un moment de sa vie où elle sent qu’elle a laissé les choses défiler sans rien faire. Un personnage mélancolique par excellence, au présent handicapé par les erreurs du passé. Le Persuasion de Netflix ne semble jamais vouloir se décider entre le ton doux et délicieusement grandiloquent d’un Orgueil et Préjugés et l’humour mordant et résolument moderne d’un Clueless. Cette perpétuelle danse entre deux genres qui ne sont ni l’un ni l’autre appuyés par une écriture sensée fait du film un tout indigeste, à la limite du malaisant et que ni le talent d’un Cosmo Jarvis inspiré ou d’une Dakota Johnson peinant à sortir des lignes de dialogues dignes d’un Fleabag sous influence ne parviennent à sauver. Le ton du film, constamment en recherche de soi, est surréaliste et trop confus pour être pardonné et la volonté de modernité est constamment noyée dans une atmosphère qui se veut digne d’un Emma. sans en avoir le charme ou les dialogues pétillants. Pire encore, le film prétend vouloir attirer un nouveau public vers les écrits d’Austen et ce, en opérant tellement de changements de textes (Mr William Elliot qui passe d’un opportuniste à un “10”, les fameux “ex” de l’époque de la régence) qu’il ne laisse jamais une seule chance à ce public d’entendre ce texte.

Anne Elliott, loin de son alter ego littéraire, est positivement insupportable, faute encore et toujours, d’un défaut majeur d’écriture. Tout ce qui faisait d’elle un personnage attachant dans le livre, son altruisme, sa marginalité et sa sensibilité, est effacé par son constant pessimisme et un égoïsme qu’on ne lui connaissait pas, tout cela au profit d’un humour qui n’est drôle que de prétention. Cette impression d’égoïsme chez le personnage d’Anne est accentué par le cassage du quatrième mur qui, loin de servir à l’humour ou à l’introspection à la manière d’une Phoebe Waller-Bridge dans Fleabag, renforce encore plus cette idée d’auto-suffisance chez Anne pour qui l’extérieur n’est composé que d’idiot·es qu’elle prend plaisir à moquer avec cynisme. Même sa relation avec Wentworth en pâtit et ne semble plus aussi sincère tant le film manque de cette attente et de ce désir fébriles qui caractérisent leur rapport dans le livre. Anne, loin des héroïnes indépendantes d’Austen, n’est à présent qu’une fille hautaine et, semble-t-il, trop passive pour prendre ses propres décisions, mais assez insupportable pour constamment en reprocher les conséquences aux autres. Pire encore, le film donne l’impression que pendant huit années, elle a stagné dans le souvenir de Wentworth, sans jamais prendre de décision pour sortir de son malheur, ce qui n’est pas un problème dans le roman d’Austen grâce à la fabuleuse qualité de narration qui parvient parfaitement à capturer l’essence même de l’affection d’Anne et de Wentworth.
L’écriture n’est pas le seul élément du film à pâtir de ce demi-ton. Les costumes, particulièrement ceux d’Anne, possèdent le même problème de cohérence et semblent toujours à mi-chemin entre l’habit classique des femmes de la régence et une volonté moderne caractérisée par des ajouts qui auraient pu faire sens, mais qui ne sont jamais totalement assumés. Un des costumes d’Anne en est le parfait exemple, dans cette scène où elle porte une robe classique (bien que, selon les coutumes de l’époque, un peu trop légère pour être convenable) surmontée d’une chemise d’homme coupée juste en dessous des seins à la manière d’une Patti Smith. En plus de n’avoir aucun sens, ce choix est noyé dans la masse de costumes traditionnels portés par les autres personnages et aurait au contraire, eu plus d’impact s’il s’était vu généralisé à l’ensemble du casting, ce qui n’est pas le cas. Ainsi, on ne compte plus les incohérences de costumes (Anne qui porte un béret ou même du noir, couleur irrévocablement réservée au deuil dans cette période, la taille baissée pour arriver au-dessus du nombril et non plus en dessous de la poitrine) qui achèvent d’instaurer cette confusion entre modernité et présent.

À son cœur, Persuasion est un roman sur la jeunesse, l’amour et les occasions manquées. C’est un livre qui parvient parfaitement à capturer ce moment où les illusions de la jeunesse s’estompent (Anne est décrite comme étant “vieille fille” dans le livre, simplement pour signifier qu’elle va sur la fin de sa vingtaine et qu’elle n’est pas mariée, comble pour l’époque) pour laisser place au regret et à la mélancolie d’un temps passé. La beauté de la prose d’Austen parvient parfaitement à placer son personnage principal au milieu de tout cela et la romance avec Wentworth fait alors sens car pour Anne, c’est une dernière chance d’effacer son plus grand regret. Dans le film, tout sentiment significatif s’estompe pour laisser place à un humour douteux et une constante volonté de dynamisme en opposition totale à la mélancolie qui caractérise son matériau de base. Avis aux chercheurs d’adaptations d’Austen : passez votre chemin. Ou mieux encore, regardez le Emma. d’Autumn de Wilde.
Persuasion de Carrie Cracknell. Avec Dakota Johnson, Cosmo Jarvis, Henry Golding. 1h47
Sorti le 15 juillet 2022 sur Netflix
Terrible adaptation dont vous parlez très bien, je me suis lancée dans son visionnage avec crainte mais toujours avec le minuscule espoir de me tromper. Que nenni.
L’amour d’Anne et Wentworth était tellement fade que j’en suis arrivée à espérer qu’ils trahissent le livre original au point de réellement mettre William Elliot -tellement plus vif !- dans la course. Retournons lire le livre.
Merci pour votre commentaire ! Le manque d’alchimie entre Wentworth et Anne fait en effet grandement défaut au film, comme quoi, il faut parfois s’en tenir aux pages d’un livre…