Acapulco. Ses plages de sable fin, son ambiance détente et farniente, ses cocktails et ses corps bronzés que l’on se complaît à observer du coin d’un œil distrait. Paradis pour touristes, où l’on ignore les problématiques locales tant les hôtels de luxe ne coûtent rien, sont totalement adaptés à nos exigences occidentales, et tant les populations locales sont au petit soin pour profiter de nos innombrables pesos. Le cul vissé dans un confort bourgeois, qui n’a de cesse de flatter notre ego, une seule question s’impose : pourquoi quitter ce paradis mexicain ?
Cette question, Neil (Tim Roth) se la pose lorsque, alors qu’il est en vacances avec sa sœur Alice (Charlotte Gainsbourg) et les enfants de cette dernière, sa mère meurt, le contraignant à retourner d’urgence en Angleterre pour la veillée funèbre. Lui qui a fui les responsabilités citadines de la grosse – et fructueuse – entreprise familiale, et goûté à un autre rythme de vie, ne se voit pas revenir aux affaires londoniennes, surtout lorsque ces dernières se font sous le sigle du deuil. Le voilà qui s’échappe à nouveau, prétextant l’oubli d’un passeport, et jouant de sa couverture pour glaner quelques jours supplémentaires dans la station balnéaire. Dans cet étrange – du moins inhabituel – choix de l’esprit, le/la spectateur·ice s’interroge : que fuit-il, en réalité ?

Sundown se pose comme un exercice du déni. Neil, s’il trouve de nouvelles marques avec un habitat plus modeste et un nouvel amour, vit aussi de nouvelles épreuves qui, comme le décès de sa mère, se voient surmontées et finissent par le laisser indifférent. Tout indique que quelque chose de plus grand, plus personnel, l’a déjà résigné à profiter de chaque instant, à ignorer ses mésaventures et les voir comme des annexes d’une existence qu’il ne parcourt plus, se laissant aller au gré des envies. Si le scénario finit par nous donner la clé conditionnelle de cette indifférence générale qui habite le personnage, le film aborde plusieurs tons, pour éprouver ce dernier, et montrer que plus rien ne peut l’atteindre, au-delà des sentiments immédiats, qui s’estompent rapidement. Un effet de surprise qui survient subitement, là où l’ambiance du film semblait posée, établie. Ainsi, alors que l’on pense voir un postulat sur l’errance, le renouveau d’une vie paisible loin de tout, avec uniquement les liens familiaux qui irruptent – souhaitant ramener Neil à une forme de raison “conventionnelle” là où il a choisi son nouveau destin –, les rebondissements sont soudains, et rebattent des cartes que l’on pensait pourtant solides.
À la mise en scène, c’est avant tout le placement du Neil au sein des cadres qui se démarque. Toujours au centre du champ, assis sur son transat et observant la répétition du lieu qu’il a choisi d’habiter, c’est lors desdits rebondissements, où il doit rejoindre la grande histoire, que la composition le perd. Qu’il soit contraint de suivre les décisions familiales de partir aux obsèques de la matriarche, ou lorsqu’il se retrouve impliqué dans une sombre affaire de kidnapping, il perd son droit à la caméra, cette dernière s’éloignant de lui, le montrant souvent en arrière-plan, bloqué par des obstacles où il est le seul bardé de flou, quand la vie des autres s’active autour de lui et qu’il ne fait que la subir patiemment. Cette brusque rupture de ton, qui ramène la violence au centre du récit, rappelle Nuevo orden, ses insurgés énervés, même si ici, le saccage des richesses mexicaines par les classes riches qui n’ont cure des populations locales n’est qu’effleuré. Une volonté de Michel Franco de rester sur ses thèmes de prédilection, de traiter de la bourgeoisie qui pullule sur ses terres mexicaines en vivant dans son propre microcosme, mais qui manque d’aboutissement. Surtout, un discours qui a de nombreuses occasions d’exister, mais qui ne reste qu’une annexe, le scénario préférant se centrer sur les errances du héros, être perdu qui se refuse à toute nouvelle histoire.

C’est par ce refus de devenir un réel personnage que Sundown perd de son intérêt. Dans ce Lost in translation – playa edicion, l’attente d’explications quant à la condition de Neil, souvent évoquée, n’offre qu’une maigre satisfaction, si ce n’est qu’une justification grossière à celui qui n’a juste plus rien à perdre. Beaucoup de bruits, de hasards scénaristiques et de ponctuations fortes pour une conclusion trop douce, qui tente d’embrasser l’humeur mais ne parvient qu’à créer la frustration. En 1h20, le film aborde des points qu’il ne développe pas, mais ne parvient pas à nous recentrer sur sa thématique principale à mesure qu’il éloigne les divers possibles. Ce court temps devient une expérience pénible, sauvée par de rares moments et les prestations impeccables, mais qui ne suffisent pas pour laisser une marque indélébile.
Sundown, écrit et réalisé par Michel Franco. Avec Tim Roth, Charlotte Gainsbourg, Iazua Larios… 1h23
Sorti le 27 juillet 2022