C’est en 1943 que l’incroyable vie et les travaux de Marie Curie ont été adapté sur grand écran avec Madame Curie qui a cumulé à l’époque pas moins de sept nominations aux Oscars. Depuis, son histoire est régulièrement narrée, que ce soit sur le grand et petit écran, à travers des écrits et même des romans graphiques. C’est ainsi qu’en mars prochain, nous aurons l’occasion de (re)découvrir Marie Curie dans Radioactive, réalisé par Marjane Satrapi.
Au cœur de Paris à la fin du 19e siècle, Maria Sk?odowska est une scientifique chevronnée qui essaie tant bien que mal de s’imposer dans ce monde exclusivement dominé par les hommes. C’est en faisant équipe avec un autre scientifique, Pierre Curie qui deviendra son mari par la suite, qu’ils vont faire non pas une mais deux découvertes qui vont changer le monde de la science : le radium et le polonium. Des recherches saluées et récompensées dans le monde entier (notamment par un prix Nobel) que Marie Curie devra désormais mener toute seule après la mort tragique de son mari. S’ouvre alors à elle un monde impitoyable où le fait d’être une femme et une scientifique chevronnée n’a rien d’une chance.
L’adaptation de roman graphique sur grand écran est un exercice qui peut vite devenir périlleux car c’est un savant mélange de vision personnelle et de respect de l’œuvre originale qui est requis pour que le film soit réussi. Sin City en est un fier exemple tout comme Persepolis (qui a cumulé 28 nominations à travers le monde). Ça tombe bien, la réalisatrice de ce dernier est aussi celle de Radioactive ! Marjane Satrapi revient à ses premiers amours en adaptant Radioactive : Marie & Pierre Curie : A Tale of love and Fallout avec la brillante Rosamund Pike (bien trop rare sur nos écrans). En choisissant comme matériau d’origine le roman graphique, elle signe un film particulièrement singulier dans sa mise-en-scène. Outre la vie et le travail du couple Curie, la réalisatrice s’attelle à quelque chose de plus large. En faisant entrer dans le jeu la danseuse Loïe Fuller (une pionnière de la danse moderne célèbre pour ses chorégraphies mettant en scène de longs draps blancs), c’est deux mondes qui viennent se confronter et qui, au premier abord, n’ont rien en commun : la science et l’art.
Finalement les deux ne sont pas si éloignés que ça : les molécules effectuent des danses bien précises entre elles, les phénomènes scientifiques inspirent l’art (Loïe Fuller s’est inspirée des flammes pour ses compositions de danse) et le cinéma est une rencontre entre un art et une science, une exactitude dans ses choix, sa mise-en-scène et ses dialogues. C’est ainsi que Radioactive devient – comme le suggère son titre -, un film organique. Marjane Satrapi fait intervenir des instants de grâce, de magie où la science et l’art ne font qu’un pour nous offrir quelque chose de vibrant. Un vrai sens du rythme s’opère aussi bien dans le récit qu’à l’image, notamment lorsque Marie Curie vague dans ses cauchemars, scènes d’une rythmique folle. Le film réussit le pari de jouer sur deux tableaux opposés : le réalisme de l’époque et le surréalisme représenté ici par les séances de spiritismes et surtout ce radium qui au fur et à mesure brille de plus en plus, quitte à détruire énormément de choses autour de lui.

L’humain face aux découvertes scientifiques
Radioactive c’est aussi – et peut-être avant tout – un film sur l’humain. Au centre il y a une nouvelle découverte scientifique qui bouleverse le monde : la radioactivité. Un élément qui peut être utilisé à bon comme à mauvais escient, puisque le film n’hésite pas une seconde à mettre en exergue ceux qui l’ont utilisé pour détruire l’humanité. Que ce soit les essais nucléaires, Hiroshima ou encore la terrible tragédie de Tchernobyl. Ainsi, même si Radioactive érige au rang de figure scientifique Marie Curie, il n’en oublie pas pour autant ses terribles conséquences et comment cette femme a du les gérer. Personne ne peut contrôler les désirs et pulsions des hommes prêts à exterminer une partie de la planète et pourtant à l’époque tout le monde a jugé Marie Curie coupable. Une culpabilité qui a pesé sur la scientifique alors qu’elle même a payé le prix de ses découvertes : l’exposition aussi longue au radium l’a rendue malade tout comme son mari et d’autres employés. Finalement, y a-t-il eu vraiment un gagnant dans cette histoire ?
Une intelligence parmi d’autres intelligences
Évidemment on ne peut renier le caractère féministe du film. Marie Curie est de toute manière devenue une icône féministe, une femme aussi intelligente (voire plus) que les hommes qui a réussi à s’imposer dans cette société qui la conspuait à cause de sa liaison avec un homme marié (des années après que Pierre Curie soit décédé). Une vie privée et une vie professionnelle qui ne l’ont pas empêché de devenir l’une des femmes les plus célèbres au monde. Cependant, Marjane Satrapi ne prend pas le parti pris d’en faire un film féministe. Ce n’est jamais dit, ce n’est jamais mentionné en tant que tel. L’oeuvre va plus loin et se généralise à partir du moment où Marie Curie n’évoque pas sa condition de femme (qui est évidente pour l’époque) mais son intelligence. Car au final qu’est-ce qui gêne le plus ces hommes scientifiques ? Le fait qu’elle soit une femme ou le fait qu’elle soit plus intelligente qu’eux ? Probablement un peu des deux, mais la réalisatrice préfère mettre en avant un orgueil que nous avons tous quelque part en nous.
On peut rapidement être décontenancé par l’aspect non formel de ce biopic mais Marjane Satrapi propose avec Radioactive un film unique, une fusion des genres entre réalisme et poésie porté une Rosamund Pike brillante. Un film qui irradie d’une force, d’une beauté et d’un propos fort.
Radioactive de Marjane Satrapi. Avec Rosamund Pike, Sam Miller, Ana Taylor-Joy… 1h47
Sortie le 11 mars