Les années 70, caractérisées par un accroissement des productions cinématographiques plutôt sombres a vu de nombreux maîtres de l’horreur naître. Parmi eux, David Cronenberg, spécialiste du « body horror » et adepte du cinéma qui tape sur le monde qui l’entoure. Celui-ci va alors s’amuser dans Rage à montrer l’impact d’une épidémie, véhiculée par une jeune femme, sur une société américaine non préparée. Bref, il se la joue Covid-19 une trentaine d’années avant l’heure, et livre une œuvre fichtrement angoissante.
Après un accident de moto, Rose doit être opérée. Elle finit dans une clinique privée, spécialisée dans la chirurgie esthétique, où les médecins décident de se servir d’elle pour tester une nouvelle sorte de greffe de peau. L’opération est un succès mais la blessée reste un mois dans le coma. Lorsqu’elle se réveille, elle a changé. Un orifice est apparu sous son aisselle, de laquelle sort désormais un dard, incontrôlable, qui va piquer les gens pour alimenter Rose en sang, désormais seule source nutritionnelle valable pour cette dernière. Chaque personne qu’elle va toucher va alors succomber à la rage et avoir des pulsions sanguinaires.
Cronenberg signe pour son quatrième film un récit fort sur la paranoïa et la violence. Rage ne fait pas de concessions. Il commence en se moquant gentiment d’une certaine classe américaine obsédée par son image, en plaçant le début de l’intrigue dans une clinique privée. C’est d’autant plus fort qu’en prenant la rage comme maladie, il accentue son propos ; l’épidémie donne aux personnes atteintes une allure de zombie. C’est pourtant bel et bien dans sa montée de tension que le cinéaste excelle. Jouant d’abord sur le doute quant aux pulsions de Rose, il parvient à nous immerger dans une ambiance anxiogène, où notre personnage principal devient malgré lui une source de terreur et de mal.

Chaque séquence d’interaction avec d’autres personnes devient objet de suspense, certains méritant la correction qui les attend par leur comportement inadéquat – Cronenberg en profite indirectement pour parler de la place des femmes –, d’autres n’étant que des victimes infortuites. La peur de la contamination crée un sentiment de méfiance qui envenime alors progressivement les États-Unis. La salive est présentée comme un danger mortel, le moindre contact est proscrit, la loi martiale, elle, décrétée. Le monde se délite peu à peu, le réalisateur prend le temps, malgré la durée finalement assez courte du film (1h30) de nous montrer cette plongée en enfer.
Une chute d’autant plus étrange par le soin apporté à l’image. Montréal brille par les lumières colorées qui l’habitent, contrebalançant ainsi avec le froid hivernal et l’austérité des rapports humains qui croît. Les errances de Marilyn Chambers sont alors sublimées. Elle d’ailleurs, jeune inconnue au moment du tournage, est une révélation. Elle capture l’attention du spectateur et provoque une empathie quasi-irrémédiable à son égard, malgré les exactions que ses pulsions la poussent à commettre. Toutefois, il est regrettable que ses partenaires de jeu soient en-deçà, particulièrement Frank Moore, incarnant le petit ami de Rose, qui manque complètement de charisme et de présence.
Cronenberg réussit cependant son pari. Certes, il tombe dans certains écueils liés à son genre comme une certaine lourdeur dans le propos mais il fait preuve d’une grande maîtrise des codes cinématographiques pour insuffler un sentiment de crainte. Le film fait totalement écho à la situation actuelle dans le monde et le dernier acte est particulièrement angoissant à ce niveau-là ; la police devient autant une source de protection que de violence et les individus sont condamnés à s’éviter.
Rage est alors une belle pépite horrifique. Autant ancrée dans son temps sur le plan stylistique que dans la filmographie de son auteur avec ce jeu sur les corps et la représentation de la société, il s’agit d’un récit intemporel par les thèmes brassés. Un film qui nous contamine donc autant qu’il parle de ce phénomène, une grande réussite.
Rage de David Cronenberg. Avec Marylin Chambers, Joe Silver, Howard Ryshpan, … 1h27
Sortie le 3 août 1977.
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