La force du passé a de quoi dévorer tout·e un·e chacun·e. Si certaines personnes parviennent à avancer, d’autres voient leurs remords et regrets les hanter au quotidien, au risque de devenir elles-mêmes fantômes de leurs propres existences. Ces dernières années, marquées par différentes peurs à grandes échelles, ont pu amener à une introspection forcée, des idées fixes ancrées dans un avant qu’on aimerait désespérément retrouver et revisiter, encore et encore. L’idée de base de Réminiscence trouve une certaine résonance au vu de la manière dont des bouleversements à échelle mondiale obligent à retourner dans le passé, essentiellement par une mélancolie permanente. Les personnages explicitent d’ailleurs cette conception d’une nostalgie toujours rentable, presque une note d’intention méta au vu du marché saturé de films ne se basant que sur cette conception, là où Réminiscence a connu un échec financier assez sévère malgré son originalité.
On peut penser à Blade Runner par la volonté de lier film noir et univers science-fictionnel en décrépitude. Le personnage de Hugh Jackman, Nick Bannister, a des airs de Rick Deckard dans sa quête de réhumanisation par le biais d’une femme fatale, incarnée ici avec toujours autant de talent par Rebecca Ferguson. La voix off, un poil trop sentencieuse, peut faire penser à une certaine lourdeur d’écriture générale dans son inscription polar. Pourtant, quelque chose titille dans Réminiscence, notamment dans son traitement narratif.

Si ce dernier se développe sur une certaine linéarité, il appelle plutôt bien à l’usage du souvenir en tant que moteur de la narration, rendant l’enquête plutôt prenante à ce niveau. Le classicisme qui en ressort n’affecte en rien la volonté de sentimentalisation du fond, notamment par sa représentation de l’image souvenir comme Deleuze pouvait l’aborder. On ressent cette rupture des schèmes sensori moteurs et le besoin de les réactiver par une irruption dans la mémoire pure d’images de bonheur et d’épanouissement. Ici, le flashback ne s’inscrit pas dans la narration mais s’appelle par le biais de l’investigation et se visualise par de nouveaux écrans, explicitant leur quête et les indices dans celle-ci. “L’image-souvenir n’est pas virtuelle, elle actualise pour son compte une virtualité (que Bergson appelle « souvenir pur »). C’est pourquoi l’image-souvenir ne nous livre pas le passé, mais représente seulement l’ancien présent que le passé « a été ». L’image souvenir est une image actualisée ou en voie d’actualisation” (L’image-temps, pages 74 et 75). Cet extrait semble correspondre aux interrogations du long-métrage par rapport à la place du souvenir et la volonté des personnages de réactualiser celui-ci en permanence.
Visuellement, Lisa Joy offre pour son premier long-métrage un travail plutôt correct, bien qu’il y ait matière à être plus marquant. La forme dégage un potentiel qui ne paraît pas entièrement exploité, bien qu’il y ait un intérêt. La photo de Paul Cameron amène une certaine luminosité qui renforce la chaleur discrète mais néanmoins présente. L’affectivité se fait subtile, s’interrogeant presque dans sa présence par le rapport quasiment froid de Nick Bannister dans son chemin émotionnel au vu de ses rancœurs émotionnelles. Il s’en dégage un chagrin certain qui renforce notre propre affection pour un film à l’univers riche dans ce qu’il implicite plus qu’il n’explicite, bien que sa direction orale pourrait convenir à une allégorie de la narration rêvée par le biais même du format filmique.

Bien plus recommandable que ce que les retours échaudés ont pu transmettre çà et là, Réminiscence s’avère passionnant quand les fêlures de ses protagonistes s’affichent par le biais des regrets du passé. On y sent tout le matériel pour un grand film de science-fiction et, si certaines pistes semblent trop peu explorées pour son propre bien, il y a un certain plaisir qui se dessine à voir une création chercher l’humain dans la froideur par le biais commun du souvenir, le tout dans un univers qui se cherche plus qu’il n’est donné frontalement. Toute personne marquée par la nostalgie risque d’avoir un pincement au cœur devant ce film plus sentimental que ce que ses apparences ne font croire, surtout quand les fantômes du passé se sont définitivement installés dans leur quotidien.
Réminiscence, écrit et réalisé par Lisa Joy. Avec Hugh Jackman, Rebecca Ferguson, Thandie Newton… 1h56
Sorti le 25 août 2021