Il existe entre le cinéma et François Truffaut une longue et passionnante histoire d’amour. Quand on sait qu’il n’était pas un enfant désiré, délaissé par sa mère, il est intéressant de voir que ce dernier s’est vite réfugié dans les salles obscures. Son existence a commencé à avoir du sens dès lors qu’il s’est mis à parler, écrire, montrer puis finalement faire des films. Il n’est pas non plus surprenant que son premier long-métrage soit une auto-fiction, et encore moins étonnant qu’il ait donné de l’importance à la création de la saga Antoine Doinel. Disséminé dans son œuvre, les films témoignent de moments-clefs de sa vie, et par la même occasion représentent l’évolution de carrière de son acolyte Jean-Pierre Léaud, l’interprète de ce personnage atypique. L’acteur crée une relation filiale avec son réalisateur, et affirme un lyrisme bouleversant.
Baisers Volés est avec Les 400 coups le film le plus important de cette série. Il représente pour Truffaut une psychanalyse nécessaire à travers le personnage d’Antoine Doinel, un éveil et une réalisation de ses amours et son propre rapport au monde. Rien de mieux que de traiter ce sujet de façon légère et comique. Une manière de créer l’inattendu dans un cinéma davantage tourné vers le drame. Antoine Doinel revient de son service militaire, comme déserteur. Il retrouve une amie, Christine Darbon, et jongle entre plusieurs petits jobs. C’est aidé de ses acteurs que le réalisme et le comique de Baisers Volés cohabitent merveilleusement bien. Jean-Pierre Léaud amuse par sa maladresse, Michael Lonsdale par sa désopilante interprétation d’un homme complètement haïssable qui engage un détective pour savoir pour quelles raisons tout le monde le déteste. Nous avons également droit aux savoureuses interprétations de Claude Jade et Delphine Seyrig, intérêts amoureux d’Antoine Doinel qui apprend à leur côté à se détacher de sa fantasmagorie maladive. Dans ce trio, Delphine Seyrig apparaît en être exceptionnel et surnaturel qui l’enchante. Lorsqu’il la rencontre pour la première fois, il semble entendre des chants de sirènes avant de l’apercevoir dans une tenue de soirée. Le champ-contrechamp ne semble pas vouloir réaliser de long plans sur l’un ou l’autre, comme si leur rencontre semblait intangible, irréalisable pour Doinel. À l’inverse, le personnage de Claude Jade, amie de longue date, est pour Antoine une personne appréciable et ordinaire qu’il désire, toujours de façon hésitante.

L’intrigue amoureuse apparaît comme une histoire dans l’histoire, qui cohabite avec les péripéties du jeune homme. Il est question de ce dernier qui retrouve Paris, redécouvre un lieu et ses gens avec un décalage délicieux. Le film fourmille de micro-événements drôles et captivants. Doinel n’est jamais profondément marqué par ses déconvenues. Baisers volés est touchant dans sa manière d’aborder les péripéties de son personnage principal, qui passe de veilleur de nuit à détective privé, pour terminer réparateur de télévision. Le seul moment qui semble dénoter est en réalité dans sa dernière scène, à travers la mort du détective qui l’a engagé. Comme si Truffaut signait la fin d’une légèreté comique pour revenir sur une réalité tragique.
Antoine Doinel est présenté en détective maladroit, qui se montre en voulant se cacher ; en amant misérable qui ne saisit pas bien toute l’étrangeté de l’amour. Celui qui embrasse Christine parce qu’il le devrait, et écrit des torrents de lettres à Fabienne, car pour lui cet être surnaturel ne peut exister que dans la beauté d’un amour épistolaire tragique. Le film opère un tendre décalage sur la personne de Doinel. Le film nous donne à observer sa façon ridicule de se mettre en valeur à travers son statut de détective privé auprès de Christine et quand Fabienne le retrouve à son appartement pour lui montrer la tangibilité d’une attirance qui n’a rien de grand et est au contraire triste. Antoine Doinel nous montre qu’il n’est pas maître de ses sentiments, que les péripéties l’aident à y voir plus clair.
Truffaut et Doinel ont ce point commun, ils vivent dans la fiction, qu’elle soit faite d’images ou de mots. Ils se disent très vite que le mensonge et l’existence d’un amour à travers une idée poétique n’est pas la solution. Delphine Seyrig souligne à travers son personnage, que voir de l’exceptionnel chez quelqu’un n’est finalement pas si incroyable, car d’une certaine manière tout le monde l’est. Vouloir élever l’exceptionnel relève d’un lyrisme qui éloigne d’une emprise sur le réel. Baisers volés est un film drôle et léger, qui donne envie de suivre toutes les aventures d’Antoine Doinel.
Baisers volés de François Truffaut. Écrit par Claude de Givray, Bernard Revon et François Truffaut… Avec Jean-Pierre Léaud, Claude Jade, Delphine Seyrig… 1h31
Sorti le 4 septembre 1968