La pandémie mondiale aura repoussé mainte et mainte fois la sortie attendue de Wendy, deuxième film du réalisateur Benh Zeitlin après l’acclamé Les bêtes du sud sauvage. À l’occasion de la sortie du film, nous avons pu rencontrer le réalisateur (en octobre dernier !) pour parler de ses inspirations et du tournage mouvementé avec tou.te.s ces enfants !
Votre premier film abordait déjà des thèmes similaires à Wendy : les enfants, la jeunesse, leurs difficultés… Finalement il semblerait qu’adapter cette histoire était une chose évidente pour vous, quel a été le déclencheur ?
Je pense que le personnage et l’univers de Peter Pan est quelque chose qui est ancré dans ma vie et celle de ma soeur Eliza depuis notre plus tendre enfance. On a toujours rêvé qu’il viendrait un jour la nuit pour nous emmener dans son pays merveilleux mais évidemment il n’est jamais venu. Donc on s’est dit qu’il faudrait qu’on aille le trouver. Puis en grandissant on s’est de plus en plus intéressé.e.s au personnage de Wendy, le fait qu’elle aille visiter Neverland, qu’elle doit en revenir et tirer des leçons de cette aventure pour grandir dans le monde réel. D’autant plus que Peter Pan est un peu une histoire de garçon, Wendy est la petite fille mise de côté donc on a voulu la remettre en avant. On a souvent cette idée que l’aventure est réservée aux garçons et c’est quelque chose qui a beaucoup touché ma soeur car elle ne se reconnaissait pas forcément dans cette histoire où le fait d’être une fille ou une mère induisait forcément d’être plus faible. C’est notamment pour ça qu’on a décidé de rajouter dans le filme une Mère Nature qui serait la gardienne de cette île et montrer la force qu’elle a.
Le casting du film est incroyable. Comment les avez-vous trouvé et comment avez-vous travaillé avec eux ?
C’était un long processus. Heureusement que nous avions une bonne équipe pour superviser tout ça car nous avons vu des milliers d’enfants. On ne cherchait pas forcément un profil précis mais plus un esprit qui correspondait au film et ce dont nous voulions parler. Lorsque nous avions trouvé les enfants, nous avons passé beaucoup de temps à l’écriture de leur personnage avec elleux quitte à modifier le scénario pour qu’iels puissent diriger leur personnage. Au final c’est nous qui avons appris des enfants. Ça nous a permis par la suite de mieux les diriger aussi parce qu’iels ont compris l’essence fondamentale de leur personnage et de ne pas juste arriver sur le tournage et réciter bêtement leur texte.
Et maintenant la question que tout le monde se pose après avoir vu ce film, comment avez-vous fait pour tous les garder en vie ?
[Rires] Le plus gros challenge du film était que tout cela paraisse dangereux tout en faisant ce qu’il fallait pour que ce soit un environnement sécurisé pour les enfants. Tout était contrôlé : leurs mouvements, où iels devaient courir etc. Ça a surtout demandé beaucoup de répétitions et d’entraînements pour que les enfants prennent l’habitude de travailler dans la nature, iels ont fait de la randonnée et iels ont appris à nager comme il y a beaucoup de scènes qui se déroulent dans l’eau. On avait également une excellente équipe de cascadeur.se.s qui les ont encadré.e.s. Évidemment les enfants ont été incroyables et extrêmement courageu.ses.x. À la fin du tournage iels était prêt.e.s à tout faire ! C’est assez dingue de voir leur capacité d’adaptation.
En parlent des enfants qui ont appris à nager. Vous aviez pas mal de scènes dans l’eau mais aussi sous l’eau, comment se sont déroulées ces scènes ?
L’avantage c’est que les enfants adoraient nager donc dès qu’il fallait tourner une scène dans l’eau iels disaient : “Trop cool on va à la piscine !” Jouer sous l’eau est quelque chose d’extrêmement dur donc on a du énormément répéter en amont pour que tout se déroule parfaitement. Devin [France] était celle qui avait le plus de scènes sous l’eau où elle devait exprimer beaucoup de choses et elle a travaillé d’arrache-pied pour qu’on obtienne ce résultat. Tourner sous l’eau c’est aussi beaucoup d’adaptation. Évidemment on ne peut pas communiquer sous l’eau donc on s’adaptait aux enfants selon le temps qu’iels pouvaient tenir. On remontait à la surface, on discutait de ce qui allait et ce qui n’allait pas puis on y retournait. Notre équipe de caméramans a également dû apprendre la plongée et comment communiquer entre elleux sous l’eau. C’est marrant parce qu’on a l’impression de tourner sur une autre planète parce qu’il y a tout un autre vocabulaire et une gestuelle à apprendre pour être capable de filmer comme on veut.
Lorsqu’on regarde Wendy on est très vite envahi par un grand sentiment de liberté. Était-ce le cas lors du tournage. Est-ce que les enfants improvisaient de temps à autre ou tout était bien écrit ?
On a répété pendant plusieurs années avec ces enfants pour qu’iels s’imprègnent vraiment de leur personnages et il arrivait même qu’on ne leur donnait pas le scénario. On leur expliquait le contexte et on voyait ce qu’iels pouvaient improviser avec juste quelques éléments et de notre côté on prenait des notes sur ce qu’on voyait. Il s’avère du coup que pas mal d’improvisations ont eu lieu bien avant le tournage et qu’on les a intégrés au scénario. Par contre quand on se retrouve sur le lieu de tournage, c’est un peu plus encadré mais les enfants jouent ce qu’iels ont improvisé auparavant donc iels savent dans quelle direction iels vont. On ne leur demande pas de réfléchir à ce qu’iels vont faire, la caméra s’adapte et réagit en fonction de leurs actions, on ne cherche jamais à anticiper. C’était important pour nous aussi d’avoir justement un espace à 360° où il tout était possible et où les enfants pouvaient s’exprimer librement.

Lorsque vous parlez de répétitions pendant plusieurs années il s’avère que cela a pris en tout sept ans.
Nous n’avons clairement pas fait comme les autres ! Il faut dire que le processus était assez chaotique : les enfants étaient – comme tous les enfants de leur âge – assez turbulents par moment, il a fallu étudier la manière de filmer que ce soit sur le volcan ou dans l’eau donc on a peu plongé dans l’inconnu sans vraiment savoir combien de temps nous prendrait toutes ces préparations. Mais on a réussi les challenges un par un en ayant le privilège de ne pas se soucier du temps que ça nous prendrait.
L’endroit où vous avez filmé semble totalement hors du temps. Comment avez-vous découvert cet endroit ?
Nous avons tourné sur trois îles : Montserrat, Antigua et Barbuda. C’est quelqu’un qui travaillait sur mon précédent film qui m’a parlé de Montserrat donc je savais qu’il y avait là-bas un volcan et à quoi ressemblait un peu l’île. Je cherchais en premier lieu un volcan et quand j’ai visité Montserrat c’est finalement tout le film qui s’est construit autour de cet endroit. Il y a une vraie diversité de paysages et c’est ce que nous cherchions pour le film. D’autant plus qu’aucun film n’a jamais été tourné là-bas donc il y avait un véritable enthousiasme à collaborer avec les gens de l’île. C’est quelque chose d’important pour moi de pouvoir bâtir une relation saine et durable avec la population locale et leur demander de faire partie de l’équipe.
Parlons un peu de la Mère Nature, quelles étaient vos inspirations ?
On voulait quelque chose d’assez mythologique donc on a construit cette Mère comme étant presque le coeur du monde, comme une déesse de la nature. C’est une lumière très puissante qui jaillit lorsque le volcan entre en éruption. On a beaucoup étudié les créatures marines qui vivent dans les profondeurs de l’océan, il fallait trouver un équilibre entre un être mystique et quelque chose qui pourrait exister. Et c’est intéressant de se dire qu’elle pourrait réellement exister. On ne connaît qu’une infime partie de la vie sous l’océan.
Vous avez de nouveau collaboré avec Dan Romer pour la musique du film. Comment s’est passé cette nouvelle collaboration ? Vous saviez de suite que vous vouliez travailler avec lui sur ce film ?
Ça fait longtemps que Dan et moi faisons de la musique. Il travaillait déjà avec moi sur mes premiers courts-métrages donc c’est quelque chose d’assez rassurant. On a bâti un vocabulaire ensemble et c’est un excellent musicien. Il sait retranscrire mes idées et comprendre ce que j’ai en tête tout en les poussant plus loin que ce que j’aurais pu imaginer. C’est comme si nous ne formions qu’un seul esprit. C’est une collaboration importante pour moi qui, évidemment, perdurera.
Wendy c’est penser qu’il faut choisir entre rester un enfant libre ou devenir un adulte avec les sacrifices qui vont avec. Est-ce quelque chose qui a traversé votre esprit à un moment donné de votre vie ?
Oh oui tout le temps ! [Rires] C’est quelque chose qui m’a beaucoup effrayé en grandissant. Je pense que c’est quelque chose qui concerne tout le monde d’ailleurs. On nous a toujours fait croire qu’il fallait qu’on abandonne une part de nous pour grandir et je n’y crois pas. Il y a une certaine liberté aussi à devenir adulte, à pouvoir contrôler les choses et faire ses propres choix. Je pense qu’il y a un vrai danger dans la façon dont on apprend aux gens à ne plus croire aux rêves et au possible lorsqu’ils grandissent. On commence à se mettre des barrières qu’on met également à nos enfants et ça devient un cercle vicieux. C’est ce que j’ai voulu explorer dans le film : avoir la possibilité de ne pas choisir, de pouvoir grandir en restant libre grâce à ses relations, ses amis, sa famille et de garder cette petite flamme dont on a tous besoin.
Wendy en salles le 23 juin.