Attention, cet article a été rédigé par deux de nos rédacteurs. Les crédits sont en fin de texte.
La ligne rouge (1998) : Qu’est-ce que je fais là ?
S’il y a une chose que les amateurs de La Balade Sauvage, des Moissons du Ciel et des invitations au voyage de Terrence Malick doivent apprendre, c’est la patience. Depuis son second métrage, ce ne sont pas moins de vingt années qui se sont écoulées. 1998, après une longue pré-production, que Malick revient sur les écrans avec La Ligne Rouge, ?lm de guerre mais avant tout traité philosophique et mystique sur le sujet. Guadalcanal, une des îles de l’archipel Salomon, alors aux mains des Japonais, terrain vierge en proie à devenir un futur terrain de guerre lors d’une tentative de prise d’une colline par les Américains. Le ?lm s’entame sur un village somme toute paci?que, où le soldat Witt (Jim Caviezel), a déserté et mène une existence paisible. Là, il s’interroge sur ce qu’il a vécu, les horreurs que lui et ses compagnons d’armes ont commises, en contradiction avec la vie simple qui se déroule ici. Vite rattrapé par son régiment, il est forcé à retourner au con?it, et à se retrouver en première ligne. Ondécouvre ce qu’il fuit, le chaos guerrier, où le con?it politique se mêle au dilemme humain. Qu’ils soient simples soldats ou gradés, une faction d’hommes tous différents subissent la même souffrance, chacun avec ses idées et son vécu, et surtout la seule et même interrogation : qu’est-ce que je fais là ?

Le dialogue passe d’un protagoniste à l’autre, chacun mettant en question son devoir militaire face à ses convictions humaines. On y voit le double discours des of?ciers contraints d’af?rmer leurs ordres avec dureté alors qu’ils sont animés du même con?it. En choisissant de n’offrir que peu de dialogues, si ce n’est dans les scènes guerrière où les hurlements se mêlent aux douleurs, Malick choisit de ne se concentrer que sur les pensées, la réalité de ces hommes qui la narrent, offrant une voix-off quasi-constante qui tente de trouver une explication à ce combat sans raison. Chacun y voit sa raison. L’of?cier joué par Nick Nolte y voit la satisfaction, notion très américaine, d’en?n faire la guerre, de ressentir cette ?erté souvent ponctuée de décorations qu’on lui vante tant, là où ses pensées vont vers les regrets des décisions qu’il se contraint à prendre. D’autres y voient la survie à tout prix, se demandant si l’ennemi combat pour cette même survie, ce que voudrait dire une victoire, et comment seront-ils jugés dans l’au-delà. Le rapport au divin, au poids des actes face à la sentence divine, est omniprésent. Face à l’horreur de la guerre, il n’y a aucun gagnant.

Un assaut terminé, une nouvelle plaine, un nouveau commandant, éternellement remplacé, des uniformes inter-changeables dont la mort n’a aucun impact et qui ne servent qu’à aller de l’avant alors que personne ne sait réellement ce qu’il y a devant. Une victoire qui ne les mènerait que vers un autre combat sur un différent plateau. Avec ce constat teinté de pessimisme, Malick démontre d’une forme de dégoût pour l’humanité qu’il juge guerrière, avare de conquêtes sans sens, et tente de nous prouver que quel que soit le camp, les hommes se ressemblent tous. Mais ces années de silence n’ont en rien éprouvé son talent. Il est ironique de constater qu’une œuvre avec un tel message puisse être aussi belle et captivante à savourer. Toujours dans cette optique de rendre hommage à la nature qui, elle, reste pure, il s’entoure de John Troll à la photographie, qui ?lme ses environnements comme personne. La virtuosité de ces plans nous plonge au cœur de con?its grandiloquents, la caméra étant souvent coupée par l’impact des projectiles, elle aussi soldat du con?it. Le choix d’un casting hors pair (on y voit entres autres Adrian Brody, Sean Penn, George Clooney, Woody Harrelson, John C.Reilly…) remplit aussi une fonction bien précise. Un ?lm sur la recherche de réponses quant à l’humanité, son but, la réalité d’un Dieu qui nous a mis là pour dominer ou être dominé. Assurément, un grand ?lm, une fois encore, qui valait ses vingt années d’attentes. Que l’on se rassure, le cinéaste est bien plus foisonnant à partir de là.
Le nouveau monde (2005), ou le paradis perdu selon Terrence Malick
Après s’être intéressé à la seconde guerre mondiale et plus particulièrement aux soldats, Malick revient sept ans plus tard avec Le Nouveau Monde dans lequel il continue d’explorer l’histoire américaine en revenant sur l’origine même de la création de son pays, à savoir la colonisation du continent à travers l’histoire de la seule et unique Pocahontas. Comme à son habitude, dans son souci du geste, on voit l’arrivée des navires anglais sur le sol de Virginie, leur installation très occidentale sur le territoire en détails, avant de suivre John Smith (Colin Farrell), nommé ambassadeur chez les Indiens où, après qu’elle lui ait sauvé la vie, il tombe progressivement amoureux de la ?lle préférée du chef Powhatan, Pocahontas (Q’Orianka Kilcher). Cette idylle interdite se voit mise à mal par les tensions entre les deux clans. Adaptant quelque peu librement l’histoire vraie de la princesse indienne, rappelant Roméo et Juliette, Malick nous offre un ?lm sur un amour impossible au sein d’un paradis condamné. Ce nouveau monde est, avant l’invasion des colons, un jardin d’Éden où l’harmonie avec la nature règne mais, comme dans La Ligne Rouge, le réalisateur nous invite à méditer sur le rapport de l’homme à la Création et son besoin irrationnel, incontrôlable de la détruire par l’envie de la posséder.
C’est également le lieu d’une histoire d’amour. Une histoire marquée par un choc des cultures, qui re?ète une opportunité manquée. À travers la relation inachevée entre John Smith et Pocahontas, on peut voir l’échec de la rencontre entre deux mondes, deux approches n’ayant pas réussi à coexister. Pourtant, Malick nous montre que cette cohabitation n’était peut-être pas impossible car l’idylle entre les deux protagonistes traduit une fusion progressive de leurs deux modes de vie. Les deux cultures s’embrassent, ne font qu’un le temps d’un instant et tout semble possible à nos tourtereaux. La mise en scène de l’auteur vaut mieux que mille mots, et s’armant de sa caméra il nous délivre une leçon de poésie, quasi dénuée de dialogues, où Smith et Pocahontas se découvrent, apprennent à communiquer et à s’aimer. A leurs côtés, contemplant leurs batifolages, leur insouciance, la caméra – et donc le spectateur – vit pleinement cette relation cachée dont la courte durée n’est pas ignorée. Le style de Malick est tel qu’il nous transcende, amorçant sa décennie suivante, avec une abondance de mouvements et des jump-cuts sur fond de Wagner ou de Mozart. De plus, il ne perd pas pour autant son amour du réalisme, qui s’exprime ici par le choix des décors, qui correspondent aux lieux historiques de l’événement en question, ainsi que dans la représentation ?dèle des us et coutumes des indiens. Il nous transporte, nous fascine. Une sorte de magie opère, de sorte que le sort de Pocahontas, pourtant connu, nous passionne vivement.
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Car Malick en fait véritablement le cœur de son ?lm, au même titre que la Nature et Dieu, omniprésents tels des observateurs impuissants de cette histoire. Il nous montre une femme en pleine émancipation, n’hésitant pas à prendre des risques au nom du sacro-saint Amour, moteur de ce monde. Elle connaît des hauts et des bas mais arrive toujours à s’adapter sans laisser de côté sa personnalité et la ?n nous le traduit magni?quement quand, ayant en?n fait le deuil de son amour avec Smith pour lequel elle était empreinte de nostalgie, elle gambade dans les grands jardins en tenue anglaise aux côtés de son ?ls. Mêlant candeur et violence, intelligence et tendresse, mélancolie réconfortante et triste réalité, Malick nous émeut, nous secoue et nous fait vivre une petite histoire au sein de la grande. Bien qu’étant un ?lm à cheval entre les deux périodes artistiques, très différentes, du réalisateur, Le Nouveau Monde demeure l’un de ses plus réussis. La clé étant peut-être ce mélange, ce juste équilibre entre la contemplation méditative et une narration libérée quasi-mystique, qui devient sa caractéristique principale dans les années qui suivent.
Crédits rédaction : La ligne rouge : Thierry de Pinsun
Le nouveau monde : Élie Bartin
La ligne rouge, écrit et réalisé par Terrence Malick. Avec George Clooney, Jim Caviezel, Sean Penn… 2h50
Sorti le 24 février 1999
Le nouveau monde, écrit et réalisé par Terrence Malick. Avec Colin Farrell, Q’Orianka Kilcher, Christopher Plummer… 2h52
Sorti le 15 février 2006