Moins déconnecté des thématiques liées aux luttes sociales que le “Grand” Hollywood, le cinéma indépendant américain s’empare souvent des sujets brûlants, et apporte un regard de témoin ou de détracteur sur la société qui l’entoure. Dans des festivals comme Sundance ou Deauville, les formes proposées sont simples, souvent pompeuses tant leurs intentions sont forcées, mais offrent dans les meilleures propositions un regard actuel, une voix à celleux qui n’ont pas forcément leur place dans la grande machine. Au milieu d’œuvres faisant parler les minorités, les oublié·es d’un monde trop rapide, on s’attend difficilement à voir Scrap, contre-pied sans cynisme qui voudrait placer les problèmes de pauvres blancs bien riches au même niveau que ceux des personnes qui n’ont pas le dixième de leur confort.
Beth (Vivian Kerr, aussi réalisatrice) vit dans sa bagnole. Récemment licenciée, elle a laissé sa fille chez son frère, un écrivain fortuné, prétextant plusieurs rendez-vous d’affaire, le temps de parvenir à se remettre sur pied et de pouvoir offrir à la môme un semblant de foyer. Son plus gros problème est sa fierté, qui lui fait mentir à tou·tes quant à sa démise d’emploi, alors qu’un peu de jugeote et d’humilité règleraient rapidement ses problèmes. En parallèle, nous suivons les déboires conjugaux de Ben, le frangin en question, qui tente désespérément avec son épouse Stacy de procréer. Dans un environnement stressant, où cette dernière doit recevoir des injections après de multiples tentatives ratées, les allées et venues de Beth, qui tente tant de remettre de l’ordre dans sa vie que de profiter inconsciemment de ses plaisirs, ne sont pas bienvenues, et confèrent au chaos qui tourne autour de la famille. Un chaos qu’elle se crée, et auquel il est difficile de s’identifier, tant tous les personnages sont détestables, et ne créent aucune empathie.
Comme un effroyable épisode de Mon incroyable anniversaire, où un·e gamin·e gâté·e chiale d’avoir eu une Chevrolet et non une Corvette, les enjeux qui tournent autour des personnages de Scrap ont tout de problèmes de riches stupides, pour lesquels on ne peut ressentir qu’une indifférence polie. À l’image de sa photographie aveuglante, qui ne comprend rien aux nuances et préfère s’évertuer à nous défoncer les rétines – en plus de constamment jouer sur les teintes blanches, dans des lieux vides, aux murs blancs, et surexposés –, l’envie de baffer Birdy, l’enfant parfaite dont chaque intervention est là pour nous faire dire “oh, elle est trop mignonne”, de gueuler sur Ben et son choix cornélien entre deux très gros chèques, ou d’envoyer Beth pointer au centre pour l’emploi pour arrêter de nous les briser avec ses faux soucis domine. Quand le cinéma indépendant américain se fait la voix des démuni·es, des victimes de racisme et d’un monde qui brûle, nous demander de nous inquiéter pour des personnes qui ont peur que leur prochaine fin de mois n’ait que quatre zéros au lieu de cinq, est une couleuvre difficile à avaler. On se doute que le but est de leur faire avoir un semblant d’intimité, que les finalités leur font réaliser qu’une vie simple mais en accord avec soi-même est préférable, mais le point de vue qu’offre la caméra est issue de ce même élitisme, cette même pédanterie dont les personnages font preuve.
Ainsi, quand on voit Ben détester son boulot, condamné à écrire les suites du roman d’heroic fantasy dont il subit le succès alors qu’il voudrait faire publier une biographie de Billie Holiday – un vrai enjeu, on le conçoit –, le film nous montre une séquence de signature pour nous faire comprendre le calvaire lié à sa condition d’auteur de SF, un statut que Beth ne cesse de moquer. Mais par les choix de cadre qui grossissent les traits pour nous montrer des fans patibulaires, tou·tes déguisé·es en créatures féeriques et incapable d’articuler sans citer en boucle le bouquin comme s’ils ne vivaient que pour lui, ce ne sont plus les personnages, mais Vivian Kerr qui démontre du mépris qu’elle a envers ce milieu littéraire. En poussant Ben à publier la biographie qu’il a écrite, ce c’est plus l’évolution d’un personnage qui doit s’accorder avec lui-même qu’elle décrit, mais bien le rappel qu’elle ne cesse de marteler, celui qui dit qu’un “véritable auteur écrit sur de véritables sujets, pas sur des elfes et des gobelins”. Il est vrai que Tolkien était un ado boutonneux enfermé dans sa chambre avec des Warhammer, et non un linguiste chevronné – et puis, quand bien même ? On peut faire ce parallèle avec la situation sentimentale de Beth, qui refuse de se rapprocher par mépris de classe du moniteur de patin à glace du coin avant de réaliser qu’il a bien plus à lui apporter que les golden boys qu’elle convoite. Ce même moniteur de patin qui, qu’on le voit sur son lieu de travail ou à l’extérieur, est toujours affublé du même t shirt à rayures, pour être toujours catégorisé comme l’archétype du mec pauvre, qui n’a pas les moyens de se changer mais a un grand cœur.
On conçoit parfaitement que les tribulations ne sont pas une affaire de classe sociale. Que l’on peut tout à fait placer son intrigue dans un milieu privilégié, vecteur de notions communes. Deuil, addictions, amours impossibles, il y a de nombreux sujets à traiter, et l’identification peut se faire autant sur les habitant·es d’un ghetto délabré qu’envers celleux d’un palace doré. À condition de ne pas être déconnecté de la réalité que l’on décrit. Ce que Scrap est incapable de faire.
Scrap, écrit et réalisé par Vivian Kerr. Avec Anthony Rapp, Vivian Kerr, Lana Parrilla… 1h45