[CRITIQUE] SOS Fantômes – La menace de glace : Corps pourris

Sous la chaleur écrasante que reflète le béton des villes américaines, le mercure rouge vif sur le point d’exploser nos thermomètres en creusant l’embout de verre s’apprête à repartir à l’extrême inverse, à s’enfoncer dans les teintes bleutées des températures négatives. Cette plage où les enfants jouent et où les adultes bronzent, désormais habitué·es aux situations caniculaires, se recouvre d’une épaisse couche de glace qui fige les corps et le monde. Ce décor, on ne sait pas encore où il se situe mais on pense immédiatement à Miami, ville promise à la disparition sous les flots si le réchauffement climatique continue à suivre son bonhomme de chemin. Peu importe que cette nouvelle ère glaciaire ait été causée par un fantôme légendaire et que la narration ait pour but de l’arrêter en nous divertissant, cette irruption du fantastique côtoie une dystopie palpable, relative aux angoisses du siècle : enfin, le blockbuster regarde son monde ! Un plaisir de deux minutes, celles d’une bande annonce qui nous aura fait déplacer en salles pour découvrir que cette promesse a tenu elle aussi sur deux minutes, en amorce du climax, et n’a jamais représenté le moindre enjeu. La dupe n’en est que plus grande quand SOS fantômes : la menace de glace ne propose rien en échange et a le regard pointé 40 ans en arrière, trop occupé à reproduire les gimmicks de ses aînés plutôt que d’exister. Mais en bons chasseur·ses de spectres que nous sommes, enfilons notre pack de protons et partons à la recherche d’explications autour d’un phénomène foiré.

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D’abord, retrouver les idées ! Elles sont forcément quelque part, planquées derrière la bouille sympathique d’Ernie Hudson par exemple, lui dont le personnage a évolué (une première, qui sera elle aussi de courte durée). Une clé se tient là lorsque ce dernier a ouvert un complexe pour étudier les fantômes et surtout les contenir dans un espace plus grand. La caserne de pompiers a bon dos mais emmagasiner la totalité des proies attrapées dans un lieu si confiné le transforme en bombe instable qui pourrait révéler un cataclysme si le sparadrap lâche. On y verrait presque un discours, celui qui parle de l’accumulation des ressources aux détriments des territoires qui les abritent, un problème que les nouvelles générations doivent désormais appréhender. Notre trappe à fantômes est bien peu efficace car même en pointant du doigt ladite idée avec conviction, celle-ci parvient à fuir tandis que le film redevient programmatique. La possibilité d’ailleurs disparaît quand Bill Murray apparaît pour faire des blagues, tel un parasite qui vient chasser les bonnes ondes. 

Contrairement à SOS fantômes : l’héritage qui a le bon goût d’empiler un château de cartes solide avant de venir souffler dessus dans un infect dernier tiers, La menace de glace ne se pose pas la question : pour Gil Kenan – pour Hollywood, surtout –, un lore n’est pas à enrichir mais à répéter en boucle. Rien ne sert de créer une intrigue quand les gens s’extasient sur les bonhommes marshmallows ou rigolent devant l’apparition de Bouffe-Tout. Le foutage de gueule atteint son sommet lorsque Dan Aykroyd part chercher des réponses à la bibliothèque et se retrouve nez à nez avec le fantôme qui hante les lieux. L’espace d’une seconde, Gil Kenan se prend pour Ivan Reitman, persuadé que la recette d’un clin d’œil réussi est la reproduction à l’identique de l’introduction du tout premier film. Heureusement qu’on en a déjà plus rien à foutre ou le zoom crasseux sur Dan Aykroyd qui crie aurait vite fait de nous faire réserver quelques séances chez Peter Venkman. On passe les costumes au rapiéçage pour que les pépés rentrent dedans et ce que l’on pense classe, “respectueux pour les fans” qu’on prend pour des débiles devient terriblement gênant. Lorsqu’ils se mêlent à l’action, la caméra est réduite aux plans fixes sur leurs visages puisque leurs corps n’ont que peu de mouvements à proposer. La silhouette redoutable du monstre final inonde l’écran, accentue sa menace et se retrouve rythmée par un contre-champ inepte constitué des discussions stratégiques du quatuor et de leurs blagues mal écrites. On a cherché, il n’y a pas d’idées ici.

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Pourtant, et on l’a dit plus haut, quelque chose a fonctionné dans le volet précédent. Mettons des lunettes à inspection spectrale et analysons les traces d’ectoplasme sur la péloche. Étrangement, on remarque que SOS fantômes : L’héritage est chargé de vert gluant pour les mêmes raisons que ce nouvel opus, quand l’ancienne équipe intervient dans les scènes d’action, en annihile le dynamisme et occulte les autres pers… Mais c’est bien sûr, il y avait d’autres personnages ! Oublions la dynamique construite autour d’eux, la non-caractérisation est ici le maître mot : ils ne servent qu’à emboîter les séquences entre elles, fonction après fonction, quand ils ne sont pas simplement des boulets trimballés là parce qu’il faut bien en faire quelque chose. La mère, le prof beau-père et le grand frère : on ne retient plus que par leur archétype les trois personnages anciennement sympathiques, ici figurants de leur propre aventure. Puisque c’est la leur et qu’il faut bien les mettre à l’écran, le film se tue à les imbriquer dans ses séquences. Lorsque l’on découvre le laboratoire et les différents fantômes emprisonnés, le champ se concentre plus sur les scientifiques qui leur expliquent le dispositif que sur eux, en arrière-plan, qui en font la découverte. Carrie Coon semble être seule à réellement questionner cet état de fait, puisque son incarnation, Callie, répète régulièrement qu’elle a bien conscience de n’être qu’un élément rapporté qui suit ses mômes sans s’intéresser plus avant à leurs délires. Un trait de caractère déjà développé lors du film précédent mais qui offrait à sa figure un rôle complexe, ici annihilé parce que la caméra ne la regarde pas. Quant à Paul Rudd, dont le talent déjà faible a totalement disparu depuis qu’il a rejoint l’écurie aux collants serrés, et Finn Wolfhard, qui a déjà le rôle le moins intéressant – mais toujours plus qu’ici – dans Stranger things, on dira qu’ils sont habitués.

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Phoebe Spengler, sous les traits de McKenna Grace, puisqu’elle était la figure la plus intéressante, est la seule qui a un semblant d’évolution, une romance avec une défunte – intéressante sur le papier – qui s’ajoute maladroitement au récit principal. Des séquences isolées qui tentent d’illustrer la solitude des deux concernées mais qui au-delà de simples dialogues ne procurent aucune image qui pourrait témoigner de cet état de fait. La caméra n’a jamais pour fonction de raconter quelque chose, de mettre en scène des situations : elle se pose où elle peut et tout repose sur les sujets filmés et le peu de choses qu’ils ont à jouer. On le voit dès la séquence d’introduction qui a pour mission de nous en mettre plein la vue dans la capture d’un fantôme impliquant divers outils, véhicules et dégâts collatéraux. Un plan sur Phoebe dont le siège amovible s’éjecte de la voiture, effet qui nous a ébahi quand le fils Reitman le compose, ne provoque ici aucune émotion car jamais la caméra n’accompagne le mouvement, sa vitesse, la dangerosité du geste. Nous en sommes informé·es, le voyons, mais ne le ressentons pas. Le fossé se creuse d’autant plus quand la musique de Dario Marianelli s’emballe : peu importe que les cuivres hurlent, que l’épique de l’orchestration nous fasse croire à l’impossible, il n’y a aucun dynamisme à l’écran. Peut-être Gil Kenan nous prépare-t-il inconsciemment au retour de ses grands-pères favoris dès la séquence suivante, le retrait d’un quelconque rythme nous mettant dans le bain gériatrique adapté pour apprécier a minima les séquences où ces derniers redeviennent une fois encore les héros. Cette manière de mêler les deux équipes et surtout d’encore abandonner le relais de flambeau promis en fait tant un aveu d’échec qu’un respect absolu d’une des règles de la saga SOS fantômes : croiser les effluves, ça libère les fantômes, ça fait apparaître Dieudonné, et ça fait des films de merde.

SOS Fantômes : La menace de glace, de Gil Kenan. Écrit par Jason Reitman et Gil Kenan. Avec McKenna Grace, Paul Rudd, Carrie Coon… 1h56
Sorti le 10 avril 2024

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