Se dire qu’au 21e siècle être journaliste et oser prendre la parole peut être passible d’une mort la plus terrible semble impensable. Pourtant à quasiment 3 500 kilomètres de là, en Turquie, c’est le journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi qui a froidement été assassiné au consulat saoudien d’Istanbul le 2 octobre 2018. Une affaire d’état qui ressurgit aujourd’hui alors que le nouveau président des États-Unis Joe Biden a déclassifié le dossier de la CIA et qu’aucun coupable n’a encore été puni (malgré toutes les preuves évidentes).
Il n’est pas étonnant de voir que c’est Bryan Fogel à la tête de cette entreprise. Celui qui a réalisé le documentaire oscarisé Icare – sur les coulisses du dopage en Russie – s’attaque aujourd’hui à un gros morceau autant politique qu’humain. Jamal Khashoggi a longtemps œuvré du côté du pouvoir saoudien, travaillant pour le gouvernement pendant de nombreuses années, dirigeant même deux des plus grands journaux du pays avant de se faire évincer pour avoir critiqué l’influence religieuse dans le régime. Suite à l’arrestation de plusieurs personnalités publiques accusées de “corruption” à la demande du prince héritier Mohammed Ben Salmane, le journaliste s’est exilé aux États-Unis (en quittant femme et enfants) où il écrit pour le Washington Post et peut enfin critiquer librement la politique saoudienne. De plus en plus suivi sur les réseaux sociaux, il devient une menace pour MBS. Tombé entre temps amoureux d’une jeune femme turque Hatice Cengiz, il est censé récupérer un papier pour finaliser son mariage avec cette dernière au consulat saoudien d’Istanbul. Il est entré à 13h14 pour ne plus jamais en ressortir.

Ce drame avait fait grand bruit à l’époque avant de se dissiper doucement. Les investigations n’ont quant à elles jamais cessées et sont aujourd’hui mises en lumière. Du consulat qui a interdit pendant près de deux semaines l’accès aux forces de polices en passant par les écoutes, jusqu’à un sosie engagé pour faire diversion sur les caméras de surveillance. C’est toute une machination bien huilée qui s’est mise en route avec pour seul et unique but d’éliminer quelqu’un qui fait peut-être un peu trop de bruit.
Monté à la manière d’un véritable thriller et doté d’une photographie impeccable, The Dissident s’évertue à nous mettre face à une dure réalité : tout le monde est au courant mais personne ne fait rien ou ne condamne personne. Autant par confort financier (les déclarations de Donald Trump font froid dans le dos et nous rappellent à quel point cet homme peut être dangereux, privilégiant ses accords financiers avec l’Arabie Saoudite que la justice) que par peur lorsqu’on voit les systèmes de sécurité et de surveillance que le pays déploie pour infiltrer n’importe quel téléphone et épier leurs faits et gestes. Mais outre toutes ces révélations aussi fracassantes que glaçantes (la manière dont a été tué Jamal Khashoggi), c’est avant tout un film humain. Une disparition qui a laissé derrière lui des soutiens mais également une fiancée qui se bat pour que toute la lumière soit faite sur ce meurtre, des amis proches et des collègues de travail qui, tous, dénoncent cette “omerta” à leurs propres risques et périls.
Récemment, le président des États-Unis Joe Biden a déclassé le dossier de la CIA pour peut-être enfin connaître la vérité et surtout punir les personnes à la tête de ce complot. The Dissident est un documentaire brûlant, plein de rage et absolument nécessaire pour que ce genre de drames ne se reproduisent plus.
The Dissident de Bryan Fogel. 1h54
Le 15 mars en VOD