Dans sa suite, qui aura suscité trois ans d’attente et autant de questionnements, Sorrentino change la donne, amorcer un ton différent, mais toujours jouer des mêmes dualités. Lenny, que nous avons vu chuter en fin de saison précédente, est depuis presque une année dans le coma. L’Église doit prendre une décision, et lancer, malgré le non-décès de leur cher Pie XIII, une nouvelle concertation concernant la mise en place d’un nouveau régime papal, et d’une nouvelle figure à laquelle les croyant.e.s pourront se raccrocher. S’entament alors machinations et complots pour maintenir le pouvoir des figures de l’ombre, dirigeant le Vatican depuis leurs postes idylliques.
Si la décision semble simple de prime abord – mettre en place un pantin manipulable et peu sûr de lui, qui ne fera qu’appliquer, comme il l’a toujours fait, ce que ses comparses lui diront d’appliquer –, la tournure des événements met l’Ordre Collégial dans une posture peu idéale. Le Cardinal Viglietti, désormais Francis II, devient l’ennemi soudain, celui qui attendait secrètement le moment opportun pour affirmer ses idées, et dont l’élection papale tombe à point nommé. Se débarrasser de lui s’avère le mot d’ordre, dans une manœuvre aux apparences de régicide. Le remplacement s’annonce rapide en la personne de John Brannox. Convaincant par ses faits d’armes – il est celui qui a converti nombre d’anglicans au catholicisme –, il représente le ralliement, celui qui sait parler aux foules et apaise les fidèles encore meurtri.e.s par la mort énigmatique du précédent leurre, et l’état comateux de celui censé être en exercice.

Les jeux de chaires prennent une nouvelle tournure dans cette seconde saison, et deviennent, s’ils étaient déjà une partie importante et déterminante de The Young Pope, le cœur même du récit. Comment proférer un discours qui redonnera foi aux ouailles de plus en plus distantes du saint sanctuaire ? Les questions de croyances personnelles concernant le nouveau patriarche religieux sont de mise, sa position réelle, sa vision de la foi et de la gérance d’une telle mission. On s’interroge de nouveau sur la place du divin, sur le dessein de l’entité déifique qui risque d’aller à contre-courant des décisions des Hommes. En faisant planer sur la société vaticane les menaces de guerres saintes, par des messages et actions venant de combattants musulmans menaçant régulièrement l’équilibre, John Brannox, désormais Jean Paul III, se heurte à un combat bien plus intense, et couvrant de trop nombreux domaines de réflexion, pour lui qui est déjà en proie à de sérieux démons.
La représentation de tous ces déboires, pour s’inclure dans la continuité de The Young Pope, n’hésite jamais à se teinter d’ironie. Comme on le voit dès ce générique où des nonnes en petite tenue s’affolent autour d’une croix dans une ambiance néon feutrée, l’heure est à la décadence, aux coulisses de cette institution soi-disant pieuse mais qui est la porte ouverte à tous les vices. Les thématiques se confondent avec celles de la saison précédente, montrant que les travers de la fausse vertu sont partagés par tous, en toutes circonstances. Des scènes d’une dégénérescence rarement montrée avec autant de panache, dans la lignée de ce que Sorrentino fait de mieux. On rigole face au cynisme des situations, on est apeuré de se dire que tout ce qui est montré révèle une certaine vérité. Il n’est de milieux de pouvoirs sans les auras malsaines qui y font leur affaire.

Les réflexions sur le divin s’offrent évidemment un retour, notamment lorsque les signes d’un regain de santé progressif chez Pie XIII commencent à affoler les pontes. Comment réagir si ce dernier se réveille de son coma ? Comment réussir à imposer le nouveau Pape pour qu’à son réveil, les fidèles ne le voient plus comme un souverain devant regagner sa place ? Une Providence quand les multiples greffes n’ayant pris se retrouvent obsolètes face à un Lenny qui renaît de ses cendres. Une échéance toujours approchante, qui force les jeux de pouvoir à s’accélérer, et prendre des décisions radicales.
Plus que jamais, Sorrentino joue avec l’iconique. Il magnifie les personnages empreints de pureté d’esprit, pour que nous apparaissent encore plus malsains les magouilleurs. Dans une mise en scène et un rythme plus calme encore, il glorifie ces espaces immenses, dénués de vies, contrastant avec les lieux où ces dernières s’amenuisent, tous clos, étouffants. Les deux saisons se répondent, jouent des mêmes thématiques avec des variations de ton, l’une hurlant ce que l’autre chuchote.
Si les guerres de religions s’amorcent dans ce récit, et que le catholicisme doit réfléchir à des actions concrètes pour affirmer que sa fragilité ressentie par tous n’est qu’illusion, et qu’il est toujours doté de sa force d’antan, le véritable conflit reste toujours le même : le rassemblement commun face aux enjeux individualistes. Quelles sont les positions à prendre sur les sujets les plus houleux suscitant le débat ? Quelle catégorie de fidèles doit-on flouer pour que l’autre soit un atout plus puissant encore ? Quelles décisions prises par ce Pape instable doivent être révolues, ou au contraire fortifiées, pour amener l’unité ? Une preuve qu’il y a encore nombre de choses à dire sur cet univers passionnant, et tant de questions que Sorrentino s’amuse à laisser en suspens. À l’heure actuelle, aucune confirmation de suite n’a été évoquée, il ne nous reste qu’à croiser les doigts, et les chapelets.
The New Pope, série de Paolo Sorrentino. Avec John Malkovich, Sharon Stone, Marilyn Manson… 9 épisodes.
Série de 2020, sortie sur Canal +