Tous les vendredis soirs, le même rituel. Cliquer sur la page d’accueil d’Outbuster, prêt·e à découvrir quelle sera la petite surprise que la plateforme de l’étrange et du hors-normes nous réserve. Des compilations de dashcams russes, une romance allemande dont l’actrice principale décède en plein tournage, des handicapés braqueurs de banque, il y a de tout. Et un fond d’écran attire particulièrement notre attention. En même temps, Justin Long, de la drogue, des apparitions psychédéliques, ça promet une belle embardée, non ?
The Wave nous plonge dans un trip psychédélique, une introspection au royaume du bizarre où l’incohérence est reine, et fait passer Very Bad Trip pour un parcours de santé – c’est pas bien compliqué –. Pas l’idée du siècle pour Frank, qui tente de se décoincer un peu pour suivre un pote en manque de sensations, et absorbe un hallucinogène d’origine inconnue présenté par un individu qui l’est tout autant. Un craquage qui relève tant de la célébration d’une promotion bien juteuse que des multiples railleries de son ami quant à son côté collet monté. Mais la présence d’esprit et l’éveil ne font pas partie des prérogatives principales de notre protagoniste.
Endormi dans sa vie bien rangée, dans sa profession qu’au fond de lui il déteste, Frank est le réceptacle idéal pour l’odyssée sous acide qui se présente ici. Qui pourrait se vanter d’avoir pour métier le rôle de la parfaite ordure, celui qui endette des familles à coup d’assurances qui, une fois l’accident arrivé, refusent de proposer les garanties souscrites ? Avec un certain cynisme, du à son détachement total, Frank est le parfait connard, et surtout l’incarnation du rêve américain dans sa définition la plus actuelle. Celui qui réussit en écrasant les autres, en n’atteignant non plus une situation lui permettant de vivre confortablement, mais une outrance élitiste où, finalement, il s’emmerde. Maison, épouse et bagnole sorties d’un magazine pour l’homme accompli made in 2020, et le joug d’un conformisme certain où l’on expose ses signes de richesse, y laissant son soi bien derrière, rangé entre l’écran plat et la piscine aux bords chromés. Pourtant, Gille Klabin nous vend Frank comme un personnage introverti, peu sûr de lui. Probablement un bon gars dépassé par les événements, un patronat oppressant, et toutes ces choses qui décident pour lui. Finalement, la pilule qui le réveille le fait bien sortir de la matrice, celle de son propre endormissement, lui faisant réaliser ce qu’il est, et qu’il est temps de dynamiter tout ça.

Le fond est convenu avec le stéréotype de celui qui brave sa condition pour arrêter de devenir un connard, archétype typiquement américain, ancré dans les contradictions d’une culture de l’égoïsme. Pour autant, son exécution est solide avec un jusqu’au-boutisme d’extermination de la figure du self-made-man, et la forme, elle, permet de nous embarquer et d’apprécier ses enjeux bien simples. La sensation d’accompagner Franck dans sa virée chimique est totale, appuyée par une mise en scène nerveuse jouant avec les imprévus, et une direction artistique qui n’hésite pas à appuyer tout ce qu’elle peut de couleurs et effets. L’artifice temporel, faisant basculer notre héros sur diverses timelines, est aussi réjouissant. La narration passe son temps à troubler les réalités, et le bout du tunnel qui ne fait que constamment arpenter ses contours, avant de repartir pour un nouveau grand huit. Une forme qui se remarque, peut-être un peu trop, tant elle occulte ses lectures pour jouer la carte du trip en pleine face.
The Wave a de multiples qualités. Certes, les personnages féminins sont trop faiblement définis et souffrent parfois d’écueils malheureux, mais la lecture imaginative de ces figures qui libèrent autant qu’elles bloquent notre héros peuvent nous faire pardonner ce défaut. Aussi, le duo de comédiens inspirés, la photographie et la mise en scène n’ont de cesse d’emporter le/la spectateur·ice. Ce qu’il veut nous dire, en revanche, se remarque facilement et s’apprécie, mais reste masqué sous la couche de néon, et sert malheureusement de prétexte à faire briller les rétines. Un pari réussi, mais qui devient aussi anecdotique qu’il était réjouissant.
The Wave, de Gille Klabin. Avec Justin Long, Donald Faison, Sheila Vand… 1h27
Sorti le 8 juillet 2020 en VOD