L’horreur folklorique semble avoir retrouvé un auteur de renom en la présence d’Ari Aster ces dernières années. Pourtant, il est parfois bon de revenir aux sources pour apprécier pleinement l’ampleur de ce sous-genre. The Wicker Man s’impose alors en pierre angulaire par les jalons qu’il met en place.
Le film de Robin Hardy nous emmène au large de l’Écosse, sur la petite île de Summerisle. Là-bas, le sergent Neil Howie amerrit pour venir enquêter sur la disparition mystérieuse d’une jeune fille. Commence une investigation teintée d’étrange, qui joue en permanence sur l’opposition entre la figure de l’officier et les habitants de l’île. Il faut noter que cette œuvre intervient en plein cœur de l’essoufflement de la Hammer. Le fameux studio qui abreuvait les salles obscures d’œuvres horrifiques et gothiques faiblissait face aux autres productions du moment, plus axées sur le réel contemporain ; l’année 1973 voit par exemple sortir, outre The Wicker Man, L’exorciste de William Friedkin ou Ne Vous Retournez Pas de Nicolas Roeg, autre fleuron de l’horreur européenne. Christopher Lee, alors icone du studio au marteau sous le grimage du comte Dracula, désirait changer d’air et a vu en ce projet un nouveau souffle pour sa carrière. Exit le baroque donc, avec ses décors et ses costumes grandiloquents, et découverte de la réalité pour un résultat aussi glaçant qu’enivrant.

Car il a eu le nez fin, Saroumane. The Wicker Man dénote par une modernité étonnante dans son ton, propre à son époque. Robin Hardy, documentariste d’origine, insuffle une vraisemblance troublante à cette enquête. Il nous fait suivre les mouvements du sergent à mesure qu’il découvre cette île étrange, dont le quotidien nous est révélé. Ce soin apporté aux détails renforce l’immersion et le malaise qui croît peu à peu à cause de ce que l’on découvre. Summerisle n’a rien de rassurant, et pourtant il semble y faire bon vivre. Malgré le drame qui tient lieu de fil rouge, une certaine légèreté règne et nous tracasse.
Les ruines de l’ère hippie se sont installés sur ce vaste rocher, et la liberté affichée vient contrecarrer la rigueur investigatrice de l’officier zélé. Dans les chaumières, point de trace de la disparue, au contraire. Les habitants, y compris la famille de la jeune fille, font comme si de rien n’était, comme si elle n’avait jamais existé. Dehors, en parallèle, ça chante, ça baise, ça s’amuse. Bref, ça vit. On a là une véritable comédie musicale imprégnée de la fin des sixties, avec un enchaînement de sons à faire pâlir Woodstock. Hardy joue d’une horreur ludique, le jeu de piste menant à une traque inversée, le flic devenant littéralement un poulet en batterie duquel se jouent les locaux. Difficile alors de ne pas afficher un sourire face aux tourments de cette figure d’autorité malmenée tant par une audience hostile que par sa propre stupidité. La dissonance ici cultivée, qui ne cesse de s’élever pour culminer dans le final tout feu tout flamme, offre un questionnement assez fort sur la morale et ses limites.

Howie se montre imperturbable, inébranlable. Membre du PPP (Policier, Pieux, Puceau) qui n’a pas lieu d’être pour la nouvelle génération, il est à la fois un protagoniste et un antagoniste. Les vertus qu’il entend défendre sont mises à mal en permanence et se révèlent ridicules, comme quand il refuse les avances sexuelles de la jeune fille qui souhaite le déflorer. Il croit valoir mieux que les insulaires sans se rendre compte qu’il est pris à son propre piège. Le cadre moral qu’il s’impose l’enferme et le condamne à un sort inéluctable. Sa foi en un dieu abstrait le conduit au sacrifice pour un autre plus concret, matérialisé en une immense statue d’osier. Hardy ne lésine pas sur les plans marquants, et sa mise en scène embrasse la folie du rituel qui s’accomplit. On pense notamment aux fessiers qui se trémoussent dans le fond près du château – symbole de l’irrévérence absolue qui domine sur Summerisle -, à la grande parade ou encore à la scène de décapitation. Ceci révèle une humanité aussi décomplexée que dérangée, qui répond à la bêtise d’un dogme par la violence crue d’un autre sans oublier d’avoir un aspect jouissif.
On aime alors à se perdre dans ce mystère vaporeux, plein d’humour et d’effroi, le tout rythmé par une bande-son qui hante nos tympans. La Final Cut qui nous est offerte par Lost Films (Ragtime, La fille de Ryan) a même le mérite de nous régaler les pupilles par la restauration qui redonne tout son éclat la photographie d’Harry Waxman et à la performance d’un Christopher Lee habité en Lord Summerisle. Ce film, si fortement ancré dans son époque, mais intemporel par ses qualités cinématographiques évidentes n’attend qu’à être (re)découvert. Il n’y a qu’à voir son influence sur des œuvres récentes comme Midsommar d’Ari Aster ou la mini-série The Third Day (HBO) pour admirer le talent de Robin Hardy et Anthony Shaffer – qui sortait alors du Frenzy d’Hitchcock -, qui ont posé les bases d’un sous-genre horrifique qui fait toujours l’actualité. Ainsi maintenant, plus que jamais, “It’s time to keep your appointment with The Wicker Man ! “
The Wicker Man de Robin Hardy. Avec Christopher Lee, Edward Woodward, Diane Cilento, … 1h34
Sorti en 1973. Ressortie à venir.