Cette année particulière qu’est 2020 n’a pas eu tout son lot habituel de sorties cinémas programmées, de blockbusters et de succès vertigineux. Entre reports pour cause de crise sanitaire, distanciation physique imposée, fermeture puis réouverture et refermeture des portes de l’antre du 7ème art. Le cru a pourtant été particulièrement alléchant en surprises et en haute qualité. Finalement le raz-de-marée émotionnel est venu d’Espagne avec un certain et délicat Madre. Un drame intime terrassant en forme de faucheuse à tristesse, et le portrait d’une femme en quête du deuil de son fils qui semble impossible. Puis du côté sériel, il se pourrait bien que la vague espagnole nommée Rodrigo Sorogoyen n’ait pas finie son rouleau sur le sable de la plage des grandes œuvres de fictions. Antidisturbios, mini-série en 6 épisodes qui vient interroger et remuer la question de la violence, de l’usage de la force et ses conséquences à la manière d’un coup de hachoir du boucher de Delicatessen. Le risque d’être tendu comme jamais sur son canapé est une évidence.
Il y a quelques semaines pointait le bout de son nez dans l’hexagone le film documentaire et brûlot du journaliste David Dufresne, Un Pays qui se tient Sage. Afin de replacer dans le droit chemin du débat et de la piste de réflexion, le questionnement sur l’exercice de la violence par la fonction policière et l’Etat. Force est de constater que l’interrogation sur cette violence n’est pas un sujet proprement franco-français. Mais bien plus large, sur la société globale, le continent européen et à l’échelle de L’Espagne. Intéressant donc de voir un cinéaste de la trempe de Rodrigo Sorogoyen, et au vu de ses métrages qui épousent habilement le polar et thriller politique, de poser son regard sur une thématique qui agite les esprits et déverse tout types de propos. Qu’ils soient sensés, intrigants ou simplement nauséabonds.
Assassin de la police
Le madrilène choisit le côté réaliste mais purement fictionnel pour mettre en scène Antidisturbios. Une brigade anti-émeute Puma 93 est chargée par sa direction de mener l’expulsion d’un couple de son appartement des quartiers populaires de la capitale. Arrivé sur les lieux, le groupe de policiers est confronté à des militants désireux de se maintenir sur place pour revendiquer le droit au logement. Les esprits s’échauffent, la situation s’envenime et ce qui devait être une simple intervention, tourne au drame total. Malheureusement la scène a été filmée par un téléphone portable, et l’enquêtrice mandatée par les affaires internes Laia, est décidée à faire éclater la vérité.

Double écho à l’actualité que la sortie d’Antidisturbios, qui en fait un objet bien ancré dans la réalité qui nous entoure. Alors qu’en France un débat fait rage sur la Loi “Sécurité Globale” et son article 24, qui viendrait instaurer la pénalisation de l’usage « malveillant » d’images des forces de l’ordre. Ici-même la vidéo des policiers dans leur intervention ayant conduit à la catastrophe est un moteur de l’intrigue, et un outil essentiel pour faire avancer l’enquête. Un questionnement se fait autre que sur la violence et sa déconstruction, mais sur l’importance même d’images essentielles à la recontextualisation des faits tels qu’ils se sont déroulés.
Il ne faut que quelques instants pour que la caméra de Rodrigo Sorogoyen fasse encore des siennes. Au plus proche des corps, elle tourne, capte chaque émotion, chaque ressenti, ne laisse rien échapper, n’y laisse le temps à la respiration, provoquant une quasi suffocation. Le premier épisode est un modèle de mise en scène et de tension. On vit l’intervention en temps réel comme un reportage immersif et impressionnant au côté de la brigade. Les coups se font sentir avec force, les casques craquent, et l’aisance du cinéaste sur les deux médiums que sont le cinéma et la série force le respect.
Revenant à ses premières amours, il se sent comme un marchand de tapis au salon de la décoration d’intérieur. Arrive à la fois à aligner le suspens, l’envie de dévorer chaque épisode l’un après l’autre, et le soin apporté à la réalisation. Ce qui n’est pas une chose simple de passer du petit au grand écran, et du grand au petit, sans oublier que la structure et la consommation ne sont pas les mêmes. Accompagné de sa scénariste attitrée Isabel Peña et du compositeur français Olivier Arson, encore une fois brillant. Sa partition accentue le rythme effréné des scènes, une machine auditive presque primitive et bestiale qui colle aux basques des personnages comme à celui d’un paranoïaque Antonio de la Torre dans El Reino. Au BPM surélevé, la musique capte toute l’attention sur l’action et le regard ne décroche pas d’une scène démente de confrontation avec des ultras footeux.
Le poids de l’uniforme et de la fonction
On parle souvent à raison, d’un cinéma Coréen en état de grâce, capable d’autant d’éclats de génies que de faciliter à marier les genres pour mettre en avant un propos social. Mais à des milliers de kilomètres de l’Asie, Sorogoyen est le porte-drapeau d’un cinéma espagnol qui déborde de talents, et qui n’en est pas moins ravageur. Des cinéastes qui réhaussent et épicent les codes traditionnels pour en tirer le meilleur et mieux les détourner. Que ce soit Alberto Rodriguez et son attrait pour des moments d’histoire du post-franquisme, entre la phase sombre et poisseuse de l’Andalousie des 80’s et l’affrontement entre deux Espagne (La Isla Minima), et la chute d’un pouvoir gangréné par la corruption (L’Homme Aux Mille Visages). Ou Raul Arévalo et son pur polar nerveux et vengeur au visage de western (La Colère D’un Homme Patient). Il y a toujours une volonté de s’approprier ce qui a déjà été fait pour tenter de le retravailler.

D’abandonner le formalisme qui dissimulait et empêchait de faire face à l’Histoire et regarder son passé des deux yeux. Les hommes et femmes du cinéma espagnol sont le miroir de la société, ils évoluent dans ses dérives, dans sa perpétuelle remise en question, dans son sentiment oppressant et dans son évolution. Antidisturbios n’y échappe pas, et prolonge l’œuvre de Sorogoyen sur le champ de la politique et du pouvoir. La police n’est que le reflet de la teneur des décisions supérieures. Le bouc émissaire de quelque chose de plus grand qui le dépasse, des hautes sphères loin d’être remplies de bons samaritains qui transpirent l’honnêteté et la bonne valeur morale. La corruption suinte de tous les côtés et déborde des murs comme dans El Reino. Pour déboucher sur le terrible, l’intolérable et l’irrattrapable.
La série s’offre deux visages. D’un côté l’enquête du thriller et la position en tant que témoin du spectateur, qui observe les scènes d’interrogatoires, analyse les données, cherche les indices en se tenant à distance. Passionnant, rondement mené mais plus classique dans son déroulé et dans ses révélations.

Et de l’autre, l’intime et l’occasion de peindre un portrait. Au cœur de la vie des personnages, comme une caméra invisible qui suit les six policiers impliqués et dont chaque épisode porte l’un des noms. Ils sont tous plus ou moins des brutes, testostéronés au maximum, remplis de préjugés et d’idées arriérées, loin d’avoir toute l’empathie qu’on pourrait porter à des héros. Pourtant la sensibilité s’en dégage, et au plus profond lorsque l’impact de la vie professionnelle prend le pas sur le privé, lorsque la confrontation à la violence quotidienne fait des ravages dans l’intérieur et dans le cercle familial, le poids de l’armure et de l’uniforme se fait ressentir. Les hommes sont d’autant plus réalistes que profondément humains et touchants.

Avec Antidisturbios, Rodrigo Sorogoyen continue son chemin avec une certaine perfection. À la fois artisan de la tension portée à son summum, et façonneur de montagnes russes émotives. Comme un parasite infiltrant le système pour le questionner et le déconstruire, il capte des moments de vie de l’intérieur d’une brigade. Le portrait d’hommes submergés pas la violence quotidienne. Celle de l’irrespect de l’uniforme et de la fonction policière, et celle de leurs agissements en conséquence de l’écrasant environnement qui les entoure. Fascinant.
Antidisturbios, de Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña. Avec Vicky Luengo, Raúl Arévalo, Hovik Keuchkerian… 6 épisodes de 50 min.
Disponible depuis le 16 novembre sur Polar+ et MyCanal.
[…] paraître. Raùl Arévalo s’est déjà montré brillant, et dernièrement chez Sorogoyen (Antidisturbios), il est ici aussi fade qu’un régime à base d’avoine et de galettes de riz. Sans expression, […]
[…] il prend le point de vue de figures controversées, comme il le fait dans sa minisérie Antidisturbios dépeignant le cas des […]
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