Avec Un Jour de Pluie à New York, Woody Allen retourne à la source de son cinéma : Manhattan et son tohu-bohu incessant, Manhattan et ses habitants névrosés, Manhattan et l’hypocrisie de son élite, Manhattan et sa beauté toujours mieux magnifiée par un air de jazz.
Loin de la sublime errance de Minuit à Paris, de l’humour éclatant de Annie Hall, ou de l’élégance de Manhattan, Un Jour de pluie à New York s’assume pleinement en tant qu’œuvre mineure dans la filmographie du cinéaste. Le topo est assez simple : invitée à New York pour interviewer un cinéaste en vogue, Ashleigh (jouée par Elle Fanning) part pour la Big Apple le temps d’un weekend, avec son petit-ami Gatsby. Ce dernier voit dans cette escapade l’opportunité de passer un weekend romantique inoubliable. Malheureusement, ses plans sont contrecarrés lorsque, par un concours de circonstances, Ashleigh et lui sont séparés, laissant ainsi Gatsby seul à errer dans les rues de New York.
Alors, aimer ou ne pas aimer ce nouveau Woody Allen ? Surement, ce film va diviser. Les « aficionados » vont y retrouver, de façon sporadique, les thèmes récurrents et la verve pétillante du réalisateur. Les détracteurs, eux, ne vont y voir que les ultimes esbroufes, légèrement risibles, d’un cinéaste dépassé. Qu’en dire ?

Dans la filmographie d’Allen, Un Jour de pluie à New York s’inscrit avant tout comme un film d’apprentissage. Une savoureuse comédie dans laquelle les protagonistes, jetés dans le « Grand Monde » que représente New York, en viennent au fil de leur pérégrinations à questionner le rapport qu’ils entretiennent avec la réalité. Dans ce nouveau film, deux modalités d’apprentissage se superposent tout du long : l’aventure, marquée par les multiples péripéties sentimentales du personnages d’Ashleigh (dont il faut souligner l’incroyable performance d’Elle Fanning) ; et l’errance, mélancolique et douce, de Gatsby.
L’aventure, rythmée avec brio, est un moyen pour le cinéaste d’introduire une fois de plus, le bestiaire caractéristique de son cinéma : un artiste névrosé, un écrivain trompé, un acteur libidineux. Judicieuse méthode dont Allen se sert pour aborder le sujet de New York. Le parcours que suit Ashleigh dans ce film en est d’ailleurs exemplaire : rapide, chaque situation étant écourtée au maximum et vertigineux (à l’image de son ivresse grandissante), le rythme de l’aventure Allénienne est celui du Jazz Swing, celui qui nous entraîne dans une danse ivre, de laquelle les personnages sortent souvent éreintés et las.

Séparé d’Ashleigh par un concours de circonstances, Gatsby, lui, opte pour l’errance. Et soudain, c’est tout un autre New York qui nous apparait. Un New York presque reconnaissable, insaisissable et moderne, légèrement mélancolique. Gatsby y erre comme un personnage de roman, à la recherche de quelque chose dont lui-même ne connait pas le nom. Gatbsy, joué avec justesse mais sans brio par Chalamet, n’est-il pas après tout qu’un mélange entre le dandy Baudelairien et le juvénile Flaubertien (L’Éducation Sentimentale) ? Sa vision du monde est faussée par son incapacité à concevoir les choses sous une autre perspective. Il passe ainsi à côté de l’essentiel car, trop préoccupé par sa petite colère et cloisonné par ses idées, il peine à comprendre les gens qui l’entourent. Seulement suite à son errance arrivera-t-il à se repositionner.
Le Manhattan de Un Jour de Pluie à New York ressemble au Paris des grands textes (Flaubert, Hugo, Hemingway etc.). On y trouve toute l’humanité. New York « c’est une ville debout » comme l’écrivait Céline, on gravit sa verticalité avec précaution, tout en sachant que pour chaque degré d’élévation, correspond une désillusion nécessaire.
Dans un deuxième temps, Un Jour de Pluie à New York s’impose comme une recherche. La recherche d’une poésie qui voudrait transcender le quotidien. Comme dans certains films de Linklater (on pense notamment à la série des Before), Woody Allen fait errer son personnage principal, car il sait que la poésie ne se révèle que par détours, qu’on ne la perçoit qu’en se permettant de ne pas la rechercher activement, qu’en se laissant porter. Mais quelle est-elle, cette poésie ? Celle d’une rencontre inattendue, d’une ballade à deux dans un musée, d’un baiser, du spectacle de la pluie et de la lumière du Soleil dans le ciel New Yorkais… Cependant, dans sa recherche du poétique, Allen ne peut se défaire de la fausseté que cette recherche implique. Certains vont surement déplorer un tel choix. Il faut cependant comprendre que cette fausseté est pleinement assumée par le cinéaste. Ses personnages, dans leurs constructions et leurs utilités narratives, nous l’indiquent déjà. Gatsby, rien que par son nom, fait sans aucun doute référence au héros du roman de Fitzgerald. Quant aux autres personnages (l’écrivain, le réalisateur, l’acteur, la prostituée.), tout droit sortis d’une comédie de boulevard, ils forment un éventail de stéréotypes, grossièrement écrit, tous aussi faux les uns que les autres, miroirs de l’hypocrisie du monde dans lequel ils évoluent. Également, tout du long du film, les rencontres de Shannon (jouée par une Selena Gomez en demi-teinte) et Gatsby sont presque toujours risibles de par leur caractère fortement hasardeux. Un recul est nécessaire pour apprécier la facétie des péripéties, et le mensonger des scènes. Il faut se distancer de l’histoire qui nous est racontée pour comprendre que l’on a devant nous trois jeunes gens qui jouent à jouer du Woody Allen. Que c’est justement cette double perspective qui rend le film savoureux et drôle. Tous ne sont après tout que des doubles d’autres personnages Alléniens, des fictions d’autres fictions.
Fidèle à ses thèmes, Allen se veut une fois de plus magicien (métier qu’il voulait exercer avant d’être cinéaste). On sait la magie fausse et mensongère, et quand bien même elle n’est qu’illusoire, sa beauté n’en demeure pas moins intacte. Un peu comme dans Magic in the Moonlight, Allen semble conclure que malgré tout, il faut y croire ; croire en la magie du cinéma ; croire en la possibilité de trouver un peu de poésie dans chacune des situations de la vie ; et même si, en réalité, tout est faux, il faut y croire ! Peut-être même faut-il y croire surtout parce que c’est faux…
Un Jour De Pluie À New York de Woody Allen. Avec Elle Fanning, Timothée Chalamet, Selena Gomez…1h32
Sortie le 25 septembre 2019
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