Lendemain de la projection du très convaincant Skin, nous retrouvons Guy Nattiv, réalisateur du film, pour parler du projet, de sa conception, de son messages et des difficultés rencontrées. À nos côtés, trois autres acteurs du milieu pour une table ronde. Nous retrouvons Adélaïde de Zickma, Frédéric de Fou de Théâtre, et Boris de Mulder Ville pour un partage de questions, que nous avons choisi de retranscrire en intégralité.
Adélaïde : Comment t’est parvenue l’histoire de Bryon Widner et comment t’es-tu retrouvé sur le projet ?
Guy : C’est une histoire intéressante. Ma femme et moi avons vécu une histoire à distance, entre Tel Aviv et Los Angeles, on s’est fiancé, je savais que j’allais devoir déménager, donc j’ai commencé à me renseigner pour savoir quel allait être le premier film que j’allais faire sur le sol états-unien. J’étais dans un café à Tel Aviv, je lisais le journal et j’ai vu cet article sur Bryon Widner, avec des photos de son visage et des différentes étapes de retrait de ses tatouages. J’ai été abasourdi par l’histoire et je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse un film là-dessus. Il y avait un documentaire sur lui, Raising Hate, on a contacté les auteurs du projet pour obtenir le contact de Bryon, qui après quelques temps m’a répondu et m’a proposé, si j’étais sérieux, de faire une conversation sur Skype, puis de se rencontrer directement. Je suis parti de Tel Aviv, ma femme de Los Angeles, pour le rencontrer à Albuquerque. Ils sont venus nous voir d’abord avec méfiance vu toutes les menaces qui pèsent sur eux, mais au final, tout s’est bien passé. Je suis le premier juif qu’il a rencontré, durant toute sa jeunesse il m’a détesté sans savoir pourquoi, et il est le premier skinhead que je rencontrais. On a passé un fabuleux week-end, à se raconter des histoires que j’ai enregistrées, et il m’a accordé sa confiance, m’a écrit un droit de cession de son histoire sur une serviette que j’ai emmenée à Los Angeles pour voir mon avocat, et j’ai commencé à écrire le script.
Ça m’a pris un an et demi, c’était très puissants et mon agent a envoyé le script à une cinquantaine de producteurs. Que des refus, tout le monde s’accordait pour dire que le script était bon, mais le discours qui est revenu à chaque fois, c’est qu’il n’y a plus de néo-nazis aux États-Unis, et que cette histoire n’a aucune pertinence de nos jours, que ça n’a plus d’impact dans le monde d’aujourd’hui. De mon côté, j’avais fait mes recherches, je pouvais leur démontrer par tous les moyens que leur argument était faux, mais rien n’y a fait. J’étais évidemment, dévasté, et un ami m’a contacté pour me proposer un court-métrage qui abordait les mêmes thèmes. On a adoré l’idée, et avec ma femme nous avons mis nos dernières économies dans la conception de ce court-métrage. On l’a produit, tourné, monté, et renvoyé aux cinquante même producteurs, qui n’ont pas eu la même réaction. Pas seulement parce qu’ils étaient face à mon travail, mais parce que le climat avait changé. Trump venait d’être élu, les émeutes de Charlottesville, les massacres dans les synagogues de la Côte Est. Tout à coup le monde a réalisé à nouveau que ces néo-nazis étaient bien là. Les producteurs étaient donc bien plus envieux d’approfondir le projet, mais soucieux des répercussions, tout le monde avait peur de s’engager. Sortant de nulle part, j’ai Sting et sa femme Trudy, qui est productrice, qui ont vu le court-métrage et m’ont contacté pour me dire qu’ils étaient prêts à investir. D’autres ont suivi, et le projet était lancé. C’est comme ça que tout a commencé.
Frédéric : J’aime beaucoup les scènes qui se passent à l’hôpital, sur les phases de retrait des tatouages. C’est poétique.
Guy : Je voulais faire quelque chose de poétique, pas toujours aussi violent. Mais on parle surtout de renaissance, de quelqu’un qui va se redécouvrir et exister à travers une nouvelle identité.
Frédéric : C’est une rédemption.
Guy : Oui. Mais c’est aussi très douloureux. De son propre aveu, il voulait à travers ces opérations ressentir la douleur qu’il a infligé aux gens.
Boris : Que peux-tu nous dire sur ta collaboration avec Jamie Bell ?
Guy : Il est tellement fantastique. Quand je l’ai rencontré la première fois, il ne comprenait pas pourquoi je m’intéressais à lui. Il se trouvait trop maigrichon, pas adapté pour le rôle, mais je savais qu’il pouvait se transformer, qu’il avait ce qu’il fallait avec sa palette de jeu incroyable, et qu’il était capable de beaucoup d’investissement pour un tel sujet. Je croyais en lui, il fallait qu’il croit en moi, il m’a demandé un peu de temps pour y réfléchir. C’est probablement la présence de Danielle McDonald, qu’il avait vue dans le court, qui l’a convaincue. Il a réalisé que c’était un projet rude mais très sérieux. Il a fait un travail sur lui-même de malade. Il est parti chez Bryon et a vécu avec lui pendant un mois, il a mangé sans cesse pour prendre de la masse, il s’est fait poser des faux tatouages sur son visage pour essayer, il a fait une technique consistant à devenir un animal pour revenir vers l’instinct et se vider de son humanité pour s’imprégner d’un rôle. On en a entendu parler pour Night Call, où Jake Gyllenhaal est devenue hyène pour travailler son rôle. Jamie, ç’a été le requin. Ses yeux sont devenus vides, il sentait le sang, et c’est ainsi qu’il a commencé le film. Tout ce que j’ai fait pendant le film, c’était le jauger. Il était tellement bon que je n’avais qu’à lui demander d’en faire un peu moins ou un peu plus selon les situations. Quand il est arrivé sur le set couvert de tatouages, j’étais sous le choc. Bryon Widner est venu sur le plateau, l’a vu, et est reparti, il avait l’impression de se regarder dans le miroir et c’était trop douloureux pour lui.
Thierry : Justement, tu parles de la préparation, qui a du aussi consister à se mettre dans un état de colère assez important. Il y a dans le film énormément de scènes chocs, jouées par un casting toujours très investi dans des personnages forts. Je pense également à Bill Camp, que je n’avais même pas reconnu au premier abord tellement je ne l’imagine pas dans ce type de rôle, mais ça fonctionne à merveille. Comment tout le monde a réagi face à la tension qui a du régner sur le plateau et comment as-tu fait pour travailler dans ce type d’ambiance pour obtenir de tels résultats ?
Guy : Grâce au petit budget, on était tous dans le même hôtel. Il faisait -10, c’était l’hiver. On était tous ensemble, et on savait qu’on faisait quelque chose d’important, que le tournage allait être intense et violent sous tous ses aspects. À chaque scène compliquée, Jamie prenait tout le monde dans ses bras entre les prises, il faisait des câlins aux petites, à Danielle, et les rassurait en leur disant qu’il allait bien, que ce n’est qu’un film. C’est choquant à voir mais on le savait en faisant le film. Et tout le monde a été très professionnel. L’équipe restait quand même dans un état de choc assez constant, après chaque scène intense, c’est le silence qui régnait sur le plateau, on avait besoin d’énormément de calme.
Frédéric : J’aime beaucoup le personnage de Ma, je trouve qu’elle est très importante dans le film. Pour moi, c’est un peu le méchant du film.
Guy : Ça l’est, clairement. Ma est dévastée, c’est une femme détruite qui a perdu ses enfants à la naissance. Elle est écorchée en tous points et son personnage n’est pas que mauvais, il y a aussi cette ambiguïté, elle voit tout le monde comme ses enfants et ne veut pas les perdre. Tout n’est pas noir ou blanc.
Frédéric : En ça, ton film est humaniste.
Guy : Avec un tel sujet, tu dois rester humain. Sinon c’est trop difficile à regarder. Même un film comme Irréversible, avec des scènes insoutenables à souhait, tu gardes cette part humaine, qui permets de ne pas fuir de la salle. Le film est tournée à l’envers, et ça finit sur un jardin, les gens s’enlacent, et tu te sens bien, ça réchauffe, et on a besoin de ça.
Boris : Quelle scène a été la plus difficile à tourner et pourquoi ?
Guy : Deux scènes étaient vraiment compliquées à tourner. Déjà, le combat de chien. Aux États-Unis, tu n’as pas le droit de tourner une scène où les chiens se touchent, sinon c’est de la cruauté animale. Tu as quelqu’un de l’association de protection des animaux qui est constamment là et qui te fait une remarque dès que le chien s’approche ne serait qu’à deux mètres de l’autre. « Comment tu veux que je fasse un combat de chiens sans qu’ils ne se touchent ? » « C’est ton problème ». Donc j’ai filmé chaque chien séparément, et on les a rapproché au message, en axant tout sur le son. Ça m’a pris toute une demie-journée pour pouvoir les faire charger sans qu’ils ne se touchent et qu’on arrive à passer cette censure-là.
La deuxième scène est dans le cimetière de voitures. Il faisait -20, on tournait de nuit, on avait sept personnes qui se battaient, les gens devaient se changer régulièrement pour ne pas se salir et aller se réchauffer. Jamie Bell et l’autre gars se battaient pour de vrai et Jamie Bell l’a frappé dans les couilles. Je vois le mec par terre qui se tord, j’adore la prestation, je suis en train de lui dire : « Bravo, t’es génial, t’es génial ! » et le mec me répond « Non, non, mes couilles, j’ai mal aux couilles ! ». On a du tout arrêter pour lui mettre de la glace et quand on est revenu, tout était enneigé. Il a donc fallu déblayer tout le plateau et quand on a recommencé, le soleil a commencé à se lever, on a donc tout du tourner à l’arrache !
Thierry : Tu disais tout à l’heure que dans le processus d’acceptation du script, les producteurs te répondaient qu’il n’y avait plus de néo-nazis de nos jours aux États-Unis. Les suprémacistes sont un problème très grave en Amérique, mais si on regarde partout dans le monde, avec la montée des extrême, il y a beaucoup de retour du fascisme décomplexé, particulièrement en Europe. Le message de ton film n’est donc au final pas quelque chose de réservé aux américains, mais peut toucher énormément de peuples différents. Quelles sont les clés que tu as choisies d’utiliser pour que justement, le message soit le plus compréhensible possible ?
Guy : Cette réflexion sur le racisme est, pour moi, un miroir de la situation dans mon propre pays, en Israël. Les gens chez moi sont très racistes, envers les éthiopiens, les arabes, les musulmans, les russes…. Les religieux détestent les non-religieux, et vice-versa, il y a des conflits tout le temps. Ce n’est donc pas que sur les États-Unis, mais sur le monde, c’est ce que je dis à chaque conférence de presse, à chaque interview, c’est pour ça qu’on se bat pour que le film soit diffusé en France, pour qu’un maximum de gens le voit. En Israël, il sort le mois prochain, et il sortira en France aussi, au moins à Paris.
Merci à Guy Nattiv et à Mensch Agency. Film en salles prochainement.
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