Le label Cannes 2020 continue son exploitation en nous permettant de découvrir les films qui auraient dû animer la croisette du 12 au 23 mai 2020. Cette semaine, c’est donc à Un Triomphe d’Emmanuel Courcol de débarquer en salle accompagné de ce nouveau, et certainement unique, label d’un festival n’ayant pas eu lieu.
Dans Un Triomphe, Étienne, acteur au succès passé, accepte d’animer un atelier théâtre en prison. Cinq détenus, premièrement réticents, décident de suivre l’atelier proposé. Surpris par ces comédiens amateurs, Étienne se met en tête de monter avec eux la pièce En attendant Godot de Samuel Beckett afin de la jouer dans un vrai théâtre.
Librement inspiré de l’histoire vraie du comédien suédois Jan Jönson, le travail d’Emmanuel Courcol, à la fois réalisateur et co-scénariste du film, et de Thierry de Carbonnières consiste premièrement au remaniement des événements originaux afin de pouvoir les adapter au milieu carcéral français. Il s’agit ici d’une délocalisation totale de l’histoire, Jan Jönson ayant monté cette pièce avec les détenus de la prison d’État de San Quentin, en Californie. Cependant, ce changement géographique est tout à l’honneur du réalisateur qui, par ce biais, inculque une vision artistique peu présente dans les représentations cinématographiques des prisons françaises.
Acteur depuis le milieu des années 90, Kad Merad fait son Godot au Festival de Cannes. On l’a longtemps attendu, mais jamais l’acteur franco-algérien n’avait su fournir la prestation capable de lui offrir une sélection sur la croisette. Cependant, contrairement à Godot, Kad Merad finit par venir. Celui-ci décroche avec Un Triomphe sa première venue en compétition. L’absurde de Samuel Beckett planant sur le film, l’épidémie de Covid-19 annule l’édition 2020 et empêche à la fois Godot et Merad de s’y rendre.
Toutefois, en lui offrant sa première sélection en compétition officielle, le Festival de Cannes ne s’y trompe pas. Kad Merad fournit ici l’une des prestations les plus abouties de sa carrière. L’acteur interprète Étienne avec une subtilité et une humanité remarquable, frôlant les limites morales de son personnage dont les véritables intentions se cachent parfois derrière la générosité de celui-ci. En effet, à qui profite réellement ce système d’ateliers de théâtre mis en place en milieu carcéral ? Aux prisonniers retournant dans leurs cellules immédiatement après les répétitions ou éventuelles représentations ? Ou à Étienne, acteur à la recherche d’un succès passé et pouvant récupérer les lauriers d’une potentielle réussite de son projet ?

Au sein du film, les bénéficiaires, d’abord peu intéressés, de l’atelier théâtre d’Étienne expriment finalement, chacun à leur manière, l’apport de cette activité artistique dans leur vie respective. Véritable film sur la recherche d’une certaine forme de liberté, l’art théâtral se manifeste tel un canalisateur de sentiments, le jeu faisant office d’échappatoire provisoire. Le temps durant lequel ces prisonniers jouent apparait comme un moment où ceux-ci ne sont pas en prison. Ils sont ailleurs, ensemble dans un espace-temps défini par la longueur du cours d’Étienne, dont il n’hésite pas, au fur et à mesure, à négocier la durée auprès de la directrice de la maison d’arrêt. Via la relation professionnelle qu’Étienne entretient avec celle-ci, interprétée par Marina Hands, le réalisateur dépeint les difficultés à instaurer des pratiques artistiques dans les prisons françaises. C’est d’ailleurs tout le milieu carcéral qui, de manière simple, mais toujours juste, se caractérise à travers les relations et échanges des divers personnages. La prison ne prend ainsi jamais une place trop importante dans le récit, mais apparait tel le théâtre au sein duquel se joue le film.
Un Triomphe n’est cependant pas exempt de défauts. Certaines séquences paraissent manquer au film et d’autres en subissent les frais, à l’image d’un Haka inutile et semblant totalement sorti du chapeau, ne s’imbriquant aucunement avec la scène précédente ou suivante. De plus, le montage ne semble pas toujours suivre la justesse de la réalisation. En témoigne une séquence, au milieu du long-métrage, durant laquelle une action est maintes fois répétée, et au sein de laquelle le montage se rapproche d’une forme de vidéo institutionnelle (n’étant ici que peu aidé par la musique allant également dans ce sens) en délaissant l’humanité qui parcourt le reste du film.
Un Triomphe, malgré quelques défauts techniques, se révèle être un beau film sur l’affranchissement par l’art, mais également sur la dualité intérieure. Toujours pertinent, l’éventail de jeu des acteurs témoigne d’une véritable maitrise, ceux-ci parvenant à nous faire ressentir une véritable progression dans la manière de jouer leur personnage. Dès lors émane de ce film une poésie pour laquelle Beckett, de par la présence constante de son Godot au sein du long-métrage, y est pour beaucoup, mais autour de laquelle chaque acteur du film parvient à trouver sa place afin de faire de ce film un possible triomphe.
Un Triomphe, de Emmanuel Courcol, avec Kad Merad, David Ayala, Marina Hands… 1h46
Sortie le 1 septembre 2021