Tout comme la vie qu’il célèbre, les films de Pedro Almodóvar sont terriblement contagieux, de par le portrait si puissant et si parlant de l’humanité qui leur est inhérent. Almodóvar célèbre la vie, oui, mais évidemment la femme, non par la féminité en elle-même mais par la force tranquille qui s’en accompagne. Rares sont ses films où l’homme est mis en avant, si ce n’est pour le bien de questionnements autobiographiques comme le fabuleux Douleur et Gloire. Au contraire, Almodvar semble s’être engagé à magnifier ses actrices et les personnages qu’elles interprètent à travers sa caméra en les plaçant dans leur milieu quotidien, ce qui les rend d’autant plus réelles et lumineuses. Volver n’y échappe pas et dans la riche filmographie d’un réalisateur affirmé, il n’est pas audacieux de dire qu’il s’y tient en figure de proue.
Si les films d’Almodóvar pouvaient se résumer simplement, il serait sûrement pertinent de les décrire en recherche constante de l’extraordinaire, de l’universalité et du fantastique dans la plus banale des histoires. C’est le cas de Volver qui commence avec un drame : une mère trouve son mari mort, tué par leur fille qu’il essayait de violer. La prémice, dramatiquement ancrée dans le réel, est le point de départ d’une exploration à taille humaine. À travers les histoires racontées, Almodóvar dissèque ces femmes, mais plus que cela, il pose un regard inquisiteur sur le deuil. Dire que la mort n’est rien face à l’amour qui subsiste n’est qu’euphémisme pour décrire un film où les fantômes, réels ou ceux que l’on se crée, flottent constamment.

Mais Volver, c’est également l’amour que rien ne pourrait briser et qui unit ces femmes, un absolu qu’Almodóvar vient magnifier sous toutes ses formes et à tout instant : l’amour d’une mère envers sa fille, l’affection d’une amie à une autre, l’attache profonde de deux sœurs que tout et à la fois rien ne sépare. Le réalisme magique si cher au cœur des Espagnol·es vient ici appuyer la douceur d’une mort qui se veut inévitable mais qui perd de sa morbidité et de sa tristesse habituelle. Jamais visible mais toujours présente, la mort vient appuyer le tableau et semble veiller sur ces femmes, comme une figure maternelle et protectrice. La mort, tout comme l’amour, c’est la vie et la vie n’est après tout que célébration.
Dans cette ode doucement macabre, Penélope Cruz délivre une performance que les mots ne seraient suffisants pour résumer. Une scène de chant simplement accompagnée d’une guitare parvient à révéler toute la subtilité, le génie et la profonde humanité qui semble entacher chaque plan qu’Almodóvar dirige sur ses actrices, en opposition totale à la bestialité et au danger permanent des hommes. Il est difficile de voir dans la place des hommes dans le film une volonté poussée de féminisme comme les films américains savent si bien le faire, tant tout semble naturel, certaines scènes étant si brutes que l’on pourrait s’y méprendre et croire que la caméra n’était là que par accident.

Il est coutume de dire qu’un bon film apporte, plus que du contentement, une réelle envie de vivre ou d’aimer et pourtant, c’est ainsi que l’on pourrait résumer Volver. En se focalisant entre autres sur le deuil, Pedro Almodóvar offre une vision fantastique et terriblement humaine de la vie où le trépas ne signifie plus la fin et où l’amour survit à tout. Le réalisateur espagnol continue de mettre à l’honneur les femmes, non pas en les élevant à un univers qui n’est pas le nôtre, mais en magnifiant leur quotidien et en mettant en avant l’amour indestructible qui les unit. Drôle et intensément libre, Volver n’est au final, sous toutes ses facettes, qu’à l’image même de celles qu’il célèbre.
Volver de Pedro Almodóvar. Avec Penélope Cruz, Carmen Maura, Lola Dueñas… 2h01
Sorti le 19 mai 2006