Lorsqu’on a vu s’avancer pour recevoir son prix au festival de Deauville Sienna Miller, on s’est demandé pourquoi tant d’honneurs. Comédienne peu connue dans nos contrées, souvent relayée au rang d’intérêt amoureux (pour se défaire de cette idée, on recommande le très bon Interview, qui montre une palette assez large de son talent), il lui aura fallu plus d’une décennie pour obtenir un rôle qui allait nous la faire voir comme une véritable évidence. Avec American Woman, Jake Scott lui a offert un véritable rôle de composition dont elle s’est emparée avec élégance et virtuosité.
Debra Callahan est une femme qui galère. Se débrouillant comme elle peut pour s’occuper de sa fille qu’elle a eu jeune et qui l’a mise rapidement face à ses responsabilités (elle-même jeune maman), elle désespère à la recherche d’un bonheur pour lequel elle se sent prête à se rabaisser. Sa solitude la fait passer d’homme en homme, souvent des mauvais choix, au grand dam de sa famille, dont sa sœur vivant dans la maison en face de la sienne, qui la soutient dans ses mésaventures autant qu’elle aimerait la voir s’élever au-delà de tout cet environnement néfaste. L’univers de Debra, déjà fragile, se retrouve anéanti lorsque sa fille est déclarée disparue. Une longue quête de justice s’entame, pour elle qui doit désormais s’occuper de son petit-fils en bas âge, seule face à son désespoir.
Et là où l’on pouvait penser que le film allait nous emmener dans une enquête, un polar social qui puise ses influences près de Gone Baby Gone, American Woman nous prend à revers. Ellipse, on se retrouve quelques années plus tard, après l’abandon des recherches, pour nous parler tout simplement de la vie. De la vie qui continue malgré les embûches, de ces épreuves auxquelles il faut se raccrocher pour en puiser sa force et se reconstruire. L’intelligence du récit est dans sa capacité à se transformer en une tranche de vie, nous montrant les moments forts du parcours de cette femme, s’étalant sur une longue période. On vit alors ces moments qu’ils soit douloureux ou joyeux, car chacun d’eux, qu’il soit issu d’un bonheur accompli ou d’une nouvelle épreuve, forge le parcours initiatique de Debra et, en réalité, celui que nous suivons tou·tes. Les déboires amoureux avant de trouver celui qui lui apporte respect et équilibre, le parcours sur soi lorsqu’elle décide de reprendre ses études, beaucoup d’éléments qui la forgent, la provoquent, la font avancer.

Sienna Miller est irréprochable. La justesse de son jeu se mêle parfaitement à une écriture sans la moindre faille. Chaque émotion transparaît, nous émeut aux larmes, chaque moment de joie nous rend amoureux·ses des instigateur·ices de son bonheur, il n’y a pas un moment où on quitte Debra, où son parcours n’est pas le nôtre. Beaucoup d’étudiant·es en cinéma le diront, le plus important lorsqu’on écrit un scénario et de créer une histoire complète pour chacun des personnages, que ce soient les protagonistes principaux comme les secondaires, comme la moindre silhouette ne bénéficiant que d’une ligne de dialogue. Il faut, ne serait-ce que par un regard ou une intention lors d’une réplique, que l’on ressente tout, le passé de ceux que l’on croise, que l’empathie puisse se générer à chaque éclat, que l’on comprenne chaque acte, cautionné ou pas. En ça, American Woman se veut un parfait exemple. Il n’y a pas un personnage laissé de côté, on aime et s’attache à tout le cercle entourant Debra, on déteste mais comprend le parcours de ses antagonistes, rien n’est manichéen mais chaque comportement est issu d’une toile complexe dont quelques morceaux donnés nous permettent de reconstituer le puzzle inhérent à chaque vie. Évidemment, le casting y est pour beaucoup, chacun·e restant à sa place, et on est d’ailleurs ravi de voir Christina Hendricks ou encore Aaron Paul, exemplaires, et que l’on aimerait voir plus souvent à l’écran.

Pour son troisième film, Jake Scott prouve qu’il va être un réalisateur important. Juste et mesuré, il parvient à retranscrire à la perfection un script dense, où il n’y a pas une ligne qui dépasse, et dont le message est à lui seul une leçon de vie. À chaque obstacle, et ce malgré la souffrance, Debra se surpasse, apprend, et va constamment de l’avant. Chaque épreuve surmontée la fait gagner en force, et la mène vers des horizons plus sereins. Une invitation à ne jamais se considérer comme perdu, à se battre pour ses convictions, dire non à tout ce qui nous traîne vers le bas, ne pas s’arrêter aux limites qu’on nous prétend pour les trouver par nous-mêmes, et voir ce dont on est réellement capable par la volonté. On souhaite au film un chemin de lumière, et une distribution qui lui offrira l’honneur qu’il mérite.
American Woman de Jake Scott. Avec Sienna Miller, Aaron Paul, Christina Hendricks….1h51. Disponible en VOD depuis le 19 Novembre 2019.
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