Le cinéma français est ambitieux, encore faut-il lui laisser une place. En tout cas en ce début d’année c’est un énorme coup de coeur qu’on a eu pour La dernière vie de Simon. Un film fantastique aux inspirations Spielbergiennes indéniables qui, en plus d’être original, est maîtrisé de A à Z. Pour l’occasion, nous nous sommes entretenus avec le réalisateur et scénariste Léo Karmann ainsi que sa co-scénariste Sabrina B. Karine. L’occasion de revenir sur cette longue collaboration et de l’état du cinéma de genre en France.
Comment est née votre collaboration ?
Léo Karmann : On s’est rencontrés il y a dix ans maintenant par un ami commun.
Sabrina B. Karine : Un peu plus même.
L.K : Non c’était il y a dix ans car je suis sorti en 2010 de mon école de cinéma et on est en 2020 donc un peu moins même neuf ans et demi.
S.B.K : Pas sûre… Excusez-nous on va se battre ! [rires] On vient de fêter les dix ans des Indélébiles [un collectif qu’ils ont monté] donc on s’est forcément rencontré avant.
L.K : Oui mais juste un tout petit peu avant.
S.B.K : Ok d’accord comme ça c’est clair ! [rires]
L.K : On s’est rencontrés grâce à Pierre Cachia, un ami commun qui joue d’ailleurs dans le film en tant qu’éducateur. On s’est trouvé artistiquement, on aime le même cinéma, on a grandi avec les mêmes références et on avait la même envie de réaliser un film qui assume ses influences des années 90 américaines : Zemeckis, Spielberg, Cameron… Un cinéma où on s’évade pendant deux heures, où on passe par toutes les émotions, où on rêve, et qui nous raconte pas la vie de notre voisin de siège. J’aime encore plus quand on sort du cinéma et qu’on se rend compte que le film nous a fait réfléchir.
S.B.K : Moi je revenais des États-Unis. Après mes études je suis partie au Canada avec un visa de travail/vacances pour essayer de travailler un peu sur les plateaux de tournage et je voulais y rester mais j’ai pas eu mon visa. Je suis montée sur Paris sans trop savoir ce que j’allais faire par rapport à ce cinéma qui fait rêver et que j’ai envie de faire mais qui n’est pas très présent en terme de fabrication française ou qui fait office d’exception quand il existe. Quand on s’est rencontrés avec Léo ça a tout de suite accroché et je me suis sentie un peu moins seule.
Comment s’écrit un scénario à quatre mains ?
Le processus d’écriture de La Dernière vie de Simon a été un vrai apprentissage. Je pense qu’aujourd’hui on écrit différemment par rapport aux débuts de la création du film. C’est avant tout énormément de discussions, on se pose beaucoup de questions, on part dans pleins de directions différentes qui ne sont pas forcément les bonnes mais ça on le sait pas encore tant qu’on ne les a pas exploré. J’ai l’impression qu’on a été assez vite même plus vite que d’habitude. En tout cas la conception de l’histoire, des personnages et des intentions relèvent d’énormément de discussions. Les gens n’ont pas souvent l’impression qu’on travaille parce que ça se passe dans les cafés [rires]. Après quand on rentre dans le texte c’est un peu celui qui a le temps, qui a envie ou qui a l’énergie, qui va faire une première proposition en entier ou par petits bouts, on repart de ce texte et on échange nos ressentis. C’est énormément à l’intuition et c’est aussi en fonction du temps qu’on avait. Ce n’est pas un projet qu’on a écrit à temps plein, Léo travaillait beaucoup à l’époque en tant qu’assistant mise-en-scène et j’étais de mon côté sur d’autres projets en tant que scénariste donc on se retrouvait quand on avait le temps et l’énergie car c’est important aussi, on considère que le temps qu’on ne passe pas à écrire est tout aussi important car il permet un certain recul.
L.K : On écrit sur d’autres projets à côté car c’est aussi important de se laisser le temps pour d’autres choses. Ce qu’on écrit sur un projet a forcément des résonances sur un autre donc c’est important de se garder du temps et du recul.
Quel a été le point de départ pour l’écriture de La dernière vie de Simon ?
On voulait tout d’abord faire un film qui rentrait dans ce cinéma qu’on aime mais qui soit possible en premier film et en France. De là est arrivée l’idée d’un personnage qui pouvait se transformer, on s’est dit que ça coûterait pas trop cher et que ce seraitt seulement plusieurs acteurs qui joueraient le même personnage puis à l’écriture on a un peu changé d’avis là-dessus. L’idée est devenue histoire quand on a trouvé la métaphore puisqu’au départ on s’est dit que ça pouvait être un film quelconque : espionnage, comédie… et c’est quand on a décidé d’en faire un adolescent qu’on a trouvé la métaphore du concept : en grandissant on cherche à ressembler à quelqu’un d’autre car on pense que c’est ainsi qu’on sera plus aimé alors que tout ce qu’on doit faire c’est apprendre à s’aimer soi-même. D’un coup le concept fantastique avait une vraie résonance métaphorique et intime.
Même s’il est de plus en plus reconnu et apprécié, le cinéma de genre reste une niche. S’y engouffrer pour un premier long-métrage n’est pas un peu effrayant ?
On a mis huit ans c’est pas pour rien, les enfants du film n’étaient même pas nés quand on a eu l’idée du film mais personnellement c’est le seul cinéma que je me sens capable de faire alors on y va sans trop se poser de questions et c’est aussi le seul cinéma qui nous donne envie de patienter et d’être persévérant.
S.B.K : Je ne me suis pas dit une seule seconde que ça allait être un obstacle. La dernière vie de Simon a quelque chose de l’ordre du grand public qui effaçait totalement le genre, c’est juste un enfant qui a un pouvoir magique que tout le monde risque de convoiter mais finalement non. C’est quelque chose qui a fait peur quand on leur a dit que c’est pour les gens de 8 à 90 ans. Ils trouvent la cible trop grosse ce qui est…
L.K : Absurde car plus la cible est grosse et plus c’est simple.
S.B.K : En fait non car ils ont besoin d’un point précis pour axer le marketing sinon ils ne savent pas faire – ou ils n’ont pas envie – et on s’est un peu pris des portes qu’on avait pas anticipé mais c’est comme ça qu’on a appris le métier.
En huit ans il y a eu des moments où vous aviez envie de baisser les bras ?
L.K : On s’imaginait tellement pas faire autre chose qu’on se disait que c’était soit ce film soit… bah justement on savait pas. Donc il fallait améliorer le scénario et continuer de se battre jusqu’à ce que ça passe car il n’y a que ça qu’on sait faire.
S.B.K : Il n’y a pas eu de moment où on s’est dit qu’on allait abandonner. Pour ma part il y a eu des moments de colère, d’incompréhension, de sentiment d’injustice notamment quand on nous disait que le scénario avait l’air super mais… il y avait toujours un mais. Je ne comprends pas, est-ce qu’une bonne histoire ça ne suffit pas ? Et on se rend compte que non, qu’il faut des acteurs connus, qu’il faut ceci, qu’il faut cela et des choses qu’on maîtrisait pas ou qu’on ne pouvait pas avoir car on avait à ce moment-là que l’objet scénario.
L.K : Il y avait de la frustration. On ne peut rien faire de plus, notre métier est de raconter des histoires alors si même avec une bonne histoire on peut pas faire de film alors qu’est-ce qu’on peut faire de plus ?
En tant que jeunes auteurs/réalisateurs – qui plus est de film de genre -, est-ce que vous avez la sensation que l’industrie cinématographique vous ferme des portes ou en tout cas ne vous soutient pas ?
S.B.K : Je pense que ces personnes là sont justement dans un concept d’industrie – qui est réelle évidemment – mais qui du coup demandent aux artistes de s’adapter à l’industrie pour rentrer dans les cases qui font vendre au lieu eux-mêmes de faire ce travail d’accompagner les artistes pour les révéler au grand public et créer une grande variété de films.
L.K : Ce n’est pas le travail des artistes de se formater à une industrie, c’est à l’industrie de transformer l’art en quelque chose d’économique. On est en train de faire peser sur les artistes cette responsabilité économique de l’art. Evidemment quand on veut se lancer dans le cinéma on peut pas écrire n’importe quoi, il y a une réalité économique qu’il faut accepter pour fabriquer. Le cinéma est ce qui rapporte le plus à la France après l’automobile mais chacun est censé faire son travail, les artistes créent et les financiers transforment ça en objet économique. Il ne faut pas que les financiers se pensent artistes et que les artistes se pensent financiers. Quand on aura enfin assimilé ça je pense qu’on reviendra à un cinéma plus original.
Le travail des effets spéciaux est vraiment remarquable. Comment et avec qui avez-vous travaillé cet aspect ?
On a travaillé avec Mikros Image qui est une structure d’effets spéciaux française et l’idée était vraiment de trouver un effet qui soit beaucoup plus dramaturgique et narratif que spectaculaire. C’était important pour moi qu’on ait envie d’y croire et que l’effet ne soit pas magique mais physique. On a construit l’histoire ainsi, c’est une histoire extrêmement crédible où ce sont les personnages qui dirigent l’action et où il y a une patte française dans l’exigence de la psychologie des personnages. Le fait que Simon puisse se transformer est quelque chose qui fait partie de lui. Il fallait que ce soit aussi crédible que le reste. le merveilleux allait être amené par autre chose : la caméra, la lumière, la musique… Il nous fallait aussi une transformation qui n’empiète pas sur l’émotion de la scène car à chaque fois que Simon se transforme, c’est un moment pivot et émotionnellement très fort pour le personnage.
Quand vous avez élaboré ce film vous avez forcément pensé à l’aspect financier de ces effets spéciaux…
Évidemment. Ce n’est pas un film à gros budget comme on pourrait peut-être l’imaginer du coup chaque choix est crucial et c’est intéressant aussi de travailler avec des budgets peu élevés car ça force la créativité. Il y avait d’autres plans effets spéciaux prévus dans le film que j’ai du couper mais finalement ce n’est pas plus mal car je trouve ça très jouissif de réfléchir à des moyens de suggérer la transformation plutôt que de la montrer. À partir du moment où le code avec le spectateur est établi que le personnage a cette capacité et que tout le monde y croit, il est très amusant de s’amuser avec cette grammaire.
Le casting est aussi une part importante du film. Comment s’est déroulé toute cette partie de recherches ?
En tout il y a quinze acteurs qui interprètent Simon à un moment ou à un autre dans le film. Ce que j’ai cherché d’abord ce sont les deux apparences principales de Simon à l’adolescence : j’ai vu cinquante acteurs et j’ai choisi Benjamin Voisin et Martin Karmann. Ils ont fait un travail particulier car ils se sont beaucoup vus entre eux pour essayer de trouver ensemble et avec moi comment Simon se présentait au monde. Comment il regarde, marche, parle… Quand on a trouvé cette feuille de route je l’ai transmise à tous les acteurs qui ont joué Simon ne serait-ce que quelques minutes à l’écran pour qu’il y ait une cohérence même si chaque acteur a joué Simon dans des émotions différentes.
En plus d’être réalisateur et co-scénariste, vous êtes également co-producteur du film avec votre société A-Motion, c’est un rôle que vous avez voulu endosser dès le départ ?
On a monté la structure sur le tard. On avait monté avant une association qui s’appelait La Scénaristerie et quand on a monté cette structure… je vais plutôt laisser Sabrina en parler d’ailleurs.
S.B.K : Il y a plusieurs intentions derrière A-Motion et j’ai l’impression que ce qui nous a motivé au départ, c’est d’avoir beaucoup de projets de films qui sont assez compliqués d’un point de vue de producteur extérieur mais qu’on a quand même envie de faire. Souvent on écrit très longtemps avant de trouver un producteur et on écrit gratuitement surtout. Le développement fait partie du travail de producteur et on s’est rendu compte qu’on faisait déjà ce travail. Toute cette phase où on écrit et où on est pas rémunéré est importante pour nous.
L.K : C’est d’ailleurs ce qu’on va faire sur tous nos prochains films, en tout cas ceux qu’on développe nous avant de trouver un producteur. Pas ceux que les producteurs nous demandent évidemment. Pour le cas de La dernière vie de Simon c’est un peu particulier car Grégoire Debailly (Geko Films) nous a fait une fleur en nous permettant d’avoir une toute petite part dans la co-production du film car ce film représente clairement le cinéma qu’on a envie de faire et représente l’ADN de la structure qu’on a envie de monter.
S.B.K : Et au-delà des films qui sont les nôtres et qu’on a envie de développer, on veut aussi aller à la recherche de jeunes auteurs comme on faisait déjà avec La Scénaristerie – dont on ne fait plus partie -. C’est un vrai plaisir de découvrir des auteurs avec du talent, de repérer la pépite dans un projet qui peut sembler chaotique, accompagner les auteurs et les former à travers l’écriture. Je ne suis pas très école mais je trouve que c’est en écrivant qu’on apprend le métier. J’espère qu’on aura aussi un jour les moyens financiers car c’est important de payer les gens et aussi mettre en avant les scénaristes qui ne veulent pas réaliser. C’est pas une ligne éditoriale mais c’est important pour nous car il y a plein de scénaristes qui ont de supers projets et qu’on va pas forcément chercher car ils n’ont pas la volonté de réaliser derrière.
La dernière vie de Simon de Léo Karmann. Avec Benjamin Voisin, Camille Claris, Martin Karman… 1h43
Sortie le 5 février