[CRITIQUE] Amour : Jusqu’à ce que l’a-mort les sépare

On connaît Michael Haneke pour son nihilisme souvent absolu. Son cinéma est synonyme de longues soirées de dépression à réfléchir à ce que l’on a vu, mais est composé avant tout d’œuvres intenses, qui interrogent sur le sens des choses, l’utilité de l’existence. Après Le ruban blanc en 2009, le cinéaste autrichien gagne une seconde palme d’or au Festival de Cannes avec Amour, en 2012, qui relate la vie d’un couple confronté à la maladie, et à la fin de vie.

Octogénaires, Anne et Georges vivent leur retraite paisiblement, installé·e·s confortablement dans leur pavillon parisien. Anciennement professeur·e·s de musique, leur quotidien tranquille est ponctué par des venues à l’opéra, où le couple se délecte de ses découvertes musicales. Mais un matin, dans une journée comme une autre, Anne s’immobilise, ne répond plus, ne réagit plus. Victime d’une attaque cérébrale, son arrêt soudain scelle le destin des deux personnes âgées. Anne revenant de l’hôpital et se retrouvant désormais paralysée sur tout un côté du corps, c’est une lente descente vers l’enfer de la mort à laquelle nous assistons.

Les films du losange

Comment se confronter à la mort ? Nous savons tou·te·s que nous ne sommes pas immortel·le·s, mais tant que nous ne constatons pas de signes avant-coureurs, notre psyché choisit, et heureusement, d’ignorer ce fait tout simplement banal, inhérent à chacun·e : nous allons mourir. Quand celle-ci décide de frapper à la porte, et d’amorcer sa venue, c’est tout un chamboulement. Au-delà du/de la patient·e principal·e, qui subit avec souffrance – ou peu, si iel a de la chance – sa décrépitude, attendant impatiemment que tout cela finisse, les autres victimes de la grande Faucheuse sont les proches. Si l’on voit le déclin graduel d’Anne, porté par l’incroyable Emmanuelle Riva – dont on imagine la difficulté de proposer une telle partition quand on est soi-même âgée –, c’est le point de vue de Georges qui est le plus central. À ce titre, Jean-Louis Trintignant est, comme à son habitude, exceptionnel. Le désespoir qui le hante face à la réalité se mêle à sa force de vie, celle qui doit désormais soutenir le poids de deux âmes esseulées, et fatiguées.

Haneke ne cherche jamais à jouer de sensationnalisme. Sa caméra est sereine, posée dans un coin de pièce, et laisse ses intervenant·e·s occuper le cadre comme iels l’entendent. Sa mise en scène minimaliste, magnifiant le propos, donne un témoignage de l’instant. A ce titre, les dialogues sont spontanés, semblent souvent improvisés. Des moments de joie – on pense notamment au passage où Anne essaie pour la première fois son fauteuil électrique, et tente de le déplacer dans le vestibule telle une auto-tamponneuse – à ceux où la souffrance prend le pas, nous laissant sur des plans fixes où Anne éructe de douleur dans des gémissements incessants, ou tout simplement quand elle part dans des monologues incompréhensibles et où elle peine à édicter, tout est montré, favorisant l’immersion mais également l’empathie envers les personnages. Cette lente agonie est aussi la nôtre, d’une certaine manière, le réalisateur parvenant à nous plonger dans le même état d’impuissance face à la situation. On pense immédiatement à nos aîné·e·s, voire à nous-mêmes – la réception du film selon l’âge des spectateur·ice·s a dû fomenter bien des ravages –, aux questionnements qui tiraillent lorsque ce genre de fatalité survient.

Les films du losange

Protagoniste malgré lui, Georges doit faire face à la situation de son épouse, prendre les décisions qui conviennent, mais également lutter contre les remarques de ses proches, peu conscient·e·s des réalités, et qui pensent savoir mieux que lui les démarches à entreprendre sans vivre le calvaire à leurs côtés. Peu à peu, Georges se referme, tant dans ses interactions avec elleux que dans celles avec sa femme, où sa patience s’affaiblit, et une certaine agressivité resurgit. La voir agoniser, elle qui lui demande par ses râles de l’aider à mourir, le met face à ses principes, et des questions qui ne s’était jamais posées. L’humanité qui émane de Jean-Louis Trintignant émeut, et quels que soient nos principes, nous ne pouvons que l’accompagner, ressentir et comprendre ses choix, sa souffrance. La défaillance progressive d’Anne reflète sa tombée dans un abyme psychologique, dont personne ne ressortira indemne.

Amour est une œuvre magnifique, qui mérite largement l’ovation qui lui a été offerte. Un film qui n’est cependant pas à placer devant tous les yeux, tant son propos s’avère dérageant par son ultra-réalisme. S’il convient de se demander ce que l’on fera le jour où l’on commence à sentir son corps décliner, ou celui de l’un·e de nos proches, on aime à y penser le plus tard possible. Michael Haneke opère une piqûre de rappel, qui nous remémore que ces questions surgissent tôt ou tard, et que rien ne nous y prépare. Plus encore, il nous montre le destin de ce couple âgé qui s’accroche, d’Anne et de Georges qui ne savent vivre l’un·e sans l’autre, et qui font ressortir ce vieil adage, qui donnerait presque envie de s’intéresser à la chrétienté : « Dans la santé, dans la maladie, s’honorer et se chérir ».

Amour, de Michael Haneke. Avec Emmanuelle Riva, Jean-Louis Trintignant, Isabelle Huppert… 2h07
Sorti le 24 octobre 2012

2 Commantaire
  • […] de cette thématique pour proposer des œuvres diverses et personnelles. La mort qui se nomme Amour chez Haneke, Mar Adentro chez Alejandro Amenabar, ou encore plus récemment Blackbird de Roger […]

  • 18/04/2022 at 15:00

    […] emparé de la thématique, mais la palme de l’ancrage dans une réalité pure revient à Amour, où Michael Haneke nous montre la lente avancée d’Alzheimer, en nous rappelant notre propre […]

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