Lorsque Marina Foïs lit le livre de Béatrice Huret Calais mon amour, l’envie de le voir adapté la transcende, volonté dont elle fait part à Jérémie Elkaïm, à la recherche du sujet de son premier long. Quelques remaniements pour que le réalisateur s’approprie l’histoire plus tard, Ils sont vivants voit le jour, avec l’actrice dans le rôle. À l’instar de l’ouvrage, le film occulte, peut-être un peu trop, son sujet de fond, la crise migratoire, pour se concentrer sur une histoire d’amour qui tente, avec réussite par moments, de s’inscrire avec un grand A. Un entre-deux qui parvient à toucher, malgré de trop nombreuses maladresses.
Béatrice vient de perdre son mari, un policier décrit comme alcoolique et violent. Perdue, comptant sur sa mère pour s’occuper du foyer et de son fils, elle effectue son travail d’aide-soignante en gériatrie sans passion, résignée à son sort depuis longtemps. C’est en choisissant de raccompagner un migrant à la “Jungle de Calais” qu’elle découvre la misère et la précarité dans laquelle sont plongés les migrants en quête d’Angleterre, ces “sauvages” qu’elle ne connait que par les actes barbares relatés par les dires des collègues de son défunt mari. S’attachant peu à peu au lieu et s’y trouvant une utilité, Béatrice change de point de vue sur la situation de ces gens qu’elle ne connaît pas, jusqu’à y trouver l’amour…
La première faiblesse du scénario se tient dans l’écriture de ses personnages, leur exposition toujours légère et qui laisse de côté des points trop importants. Jérémie Elkaïm est clair dans sa démarche : il veut avant tout raconter une histoire d’amour, parler de ces mondes que tout oppose qui s’entrechoquent, jouer des corps et des passions. Mais il en oublie l’essentiel, celui de faire exister ses protagonistes, et de les définir autrement que par la relation forte qu’il installe. Ainsi, si l’on voit une belle partie des activités bénévoles, la manière dont Béatrice aide, accueille, se concerte avec ses nouveau·lles·x proches quant aux actions à établir, son revirement s’effectue en un retournement de script. Celle que l’on qualifie de “grosse raciste” pour deux-trois remarques mal agencées, et semble juste une veuve paumée, change d’avis en un quart de seconde. Celle décrite comme une personne ayant baigné dans un milieu raciste toute sa vie – il ne faut pas oublier qu’elle était également “sympathisante FN”, chose que le film choisit de ne jamais mentionner –, parle de “sales arabes et sales noirs” lors de ses premières venues au camp de fortune est retournée comme une girouette pour le bien de la narration. La caractérisation est ainsi expédiée, accélérée pour amener la romance au forceps, et ajoute une dose de pathos malvenue.
Mais puisque c’est ce qu’il veut raconter, on admet que la romance entre Béatrice et Mokhtar, un réfugié iranien persécuté en son pays, fonctionne. La découverte des sens et des désirs pour celle qui n’a jamais été réellement touchée avec amour se fait avec douceur, et les moments entre les deux amant·e·s offrent leur lot de beauté. On ne peut qu’être admiratif·ve devant l’implication de Marina Foïs et Seear Kohi. Des instants d’écriture qui portent un sous-texte intéressant, un amour auquel on peut croire, pour celui qui refuse de se marier pour des papiers et attend d’avoir un véritable statut pour assumer sa passion, rendant cette histoire plus sincère encore. La retrouvaille de Béatrice et son corps par la jouissance, une jouissance que Mokhtar se refuse, préférant apporter du bonheur à celle qui lui offre son aide et son cœur. Car s’il y a bien une beauté, c’est celle de ces migrants, qui au-delà des rumeurs évoquées ci et là par le corps policier, ne sont jamais montrés comme des délinquants, des sauvages, mais des hommes perdus, honorables, en proie à des préoccupations bien plus importantes, et qui se comportent bien mieux envers celleux qui leur apportent leur soutien que ces mêmes “bienfaiteur·ses” pas toujours honnêtes.
C’était d’ailleurs là le filon à exploiter. Sans en faire trop puisque le sujet était de se concentrer sur le couple, leur découverte et les épreuves qui les attendent, le discours sur l’humanisation de ceux envers qui nous n’avons que trop peu d’information semble clair, et aurait mérité plus d’attardement. Pour évidemment expliquer avec plus d’assurance le changement d’orientation de pensée de Béatrice, mais aussi pour montrer l’austérité et le racisme que les migrants traversent, et contre lesquel·le·s il faut lutter pour ne plus voir des ghettos comme la “Jungle de Calais”, créé de toute pièce par refus de prise en charge, exister à nouveau. Une voiture pécufiée et un appel de menaces font triste allure face à la force que pourrait véhiculer le film, tout comme une scène de barbecue où l’on échange légèrement sur les différences ne sert pas à apporter un contrepoint suffisant.
Filmé à la manière d’un docu-fiction que les Dardenne ne renieraient pas, Ils sont vivants oscille entre la justesse sentimentale, que Jérémie Elkaïm maîtrise comme jamais, et l’à-côté politique, qui refuse d’assumer sa toile de fond et veut éviter la lourdeur d’en faire trop mais tombe dedans, ironiquement, en n’en faisant pas assez. Il reste ici un premier essai filmique honnête, qui suscite bien des curiosités.
Ils sont vivants, de Jérémie Elkaïm. Avec Marina Foïs, Seear Kohi, Laetitia Dosch…1h52