Ayant grandi dans un foyer qui a proposé ses services comme famille d’accueil pour de nombreux enfants en difficulté, Fabien Gorgeart a toujours considéré la famille comme une pluralité, qui se crée par des liens complexes, où des frères et sœurs peuvent survenir pour un laps de temps plus ou moins long, agrandissant le cercle des proches. Ces familles qui accueillent régulièrement des membres qui ne sont pas les leurs mais le deviennent par éducation commune l’inspirent pour La vraie famille. Présenté en compétition au festival d’Angoulême, ce récit semi auto-biographique trouve grâce aux yeux du public.
Anna et son époux, parent·e·s de deux garçons, ont décidé de devenir famille d’accueil il y a quelques années déjà. Le premier enfant qui leur a été confié, Simon, s’épanouit au sein d’un foyer qui l’aime, s’amuse avec ses frères Jules et Adrien, et n’envisage pas qu’un autre quotidien puisse survenir. Pourtant, sa réalité est toute autre. Son père, Eddy, qui se remet d’une longue descente aux enfers suite au décès de son épouse, retrouve peu à peu ses droits concernant Simon. Alors qu’il n’avait le droit de le voir qu’en présence d’une assistante sociale, Simon doit conjuguer avec les nouveaux éléments qui lui sont présentés, la présence de son paternel tous les week-ends, et la prise de conscience qu’il va progressivement quitter son foyer d’accueil pour vivre définitivement avec son père.
Qui détient la légitimité quant aux décisions concernant un enfant placé ? Peut-on faire confiance aux organismes qui ne font que dresser des bilans réguliers sans vivre le quotidien familial, à un père qui au-delà du lien du sang n’a jamais réellement vécu le moindre instant avec son fils, ou à cette mère qui lui a apporté éducation, foyer et amour, le connaît par cœur et comprend tous ses tourments? En nous plaçant du point de vue d’Anna, Fabien Gorgeart nous met dans une position empathique particulière, et nous retire autant de recul sur la situation qu’à elle. Il nous interroge ainsi sur l’amour plus fort que la raison, lorsque l’affiliation naturelle qui s’est formée entre Simon et le foyer qui lui a été offert se retrouve ébranlée par un droit pour celui qui a toute légitimité de réclamer le retour de son enfant. Consciente des réalités mais choisissant de s’aveugler, de s’offrir des instants de désinvolture où ce changement ne redevient qu’une lointaine menace, Anna s’improvise insouciante, prend des décisions seule, compte sur le soutien d’un mari qui a pourtant raison sur ses rappels à l’impartialité. Des conflits intérieurs naissent, mêlés de souffrance tant elle sait que rien ne lui autorise ses à-côtés, qui sont dominés par cette volonté de profiter des instants qui restent, pour que Simon se sente comblé à tout moment.

La vraie famille devient un récit d’acceptation, qui se transmet par la mise en scène. Cette dernière, fluide, par ses plan-séquences à hauteur d’enfant, et ses panotages vifs, laisse à penser à une publicité pour la famille parfaite. Volonté pertinente quand nous assistons, au final, à un foyer rempli d’amour, où les enfants s’épanouissent dans leurs conflits infantiles ou dans leurs coups d’éclat. Le couple formé par Anna et Driss est en tous points parfait, empli de compréhension et de communication, ce qui explique la déroute lorsqu’Anna décide de prendre ses décisions en cavalière solitaire. La complicité entre Mélanie Thierry et Lyes Salem joue pour beaucoup, elleux qui offrent une énergie rare à leurs personnages. Tout existe, se ressent à travers la caméra, est organique. L’arrivée dans l’équation d’Eddy, montré comme un antagoniste tant il attaque l’équilibre du quotidien de Simon, casse les codes établis par le premier acte. Le découpage se veut plus déconstruit, plus brut, comme si la fluidité ne pouvait qu’accompagner les esprits de celleux ne voyant pas d’obstacles sur leur chemin, mais qui sont désormais menacé·e·s. Par la discrétion de Félix Moati, Eddy peine à s’inscrire dans le cadre, mais prend de l’ampleur à mesure qu’il affirme son rôle paternel. L’antagoniste n’est plus, et si la situation est difficile, elle l’est pour les deux parties, pour celui qui comprend qu’il n’a pas été présent et aura du mal à se faire accepter ; pour celle qui doit admettre les limites de son rôle, et renoncer à tout ce qu’elle a apporté. Tout ce qui importe, c’est le bien-être de Simon, qui ne doit pas être le dommage collatéral du conflit dont il est l’objet.
Avec La vraie famille, Fabien Gorgeart dresse le portrait des familles d’accueil, qui ne sont pas que de simples accompagnantes de substitution, mais des foyers entiers, qui créent des liens, des souvenirs, et se retrouvent oubliés alors que la vie continue et que leur rôle est accompli. Il nous convie avant tout dans une belle œuvre sur l’amour, celui qui s’illustre par l’innocence de l’enfance, et qui remue les tripes devant ces belles petites bouilles que l’on veut aimer nous aussi.
La vraie famille, de Fabien Gorgeard. Avec Mélanie Thierry, Lyes Salem, Félix Moati…