Lorsque l’immigration clandestine mexicaine est vue comme la promesse d’un El Dorado par les même immigré·es, la douche est souvent froide quand l’intégration est difficile, que les nationalités sont difficiles à obtenir, les boulots forcément dégradants car seuls disponibles, et que la peur de l’intervention de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) est constante, une épée de Damoclès qui peut survenir à tout moment. À l’orée de lois favorisant l’expulsion des sans-papiers américains, et alors que l’Amérique s’enfonce dans les méandres radicaux générés par l’ère Trump, à qui peuvent se fier ces personnes si leur monde s’embrase ?
Nico, sur le point d’entrer au lycée, accompagne sa mère Ana en qualité d’extra dans la famille chez laquelle cette dernière effectue des ménages. Sitôt dans la maison, la police débarque, et les deux salvadorien·nes se retrouvent planqué·es le temps que les autorités ne repartent. Le constat est sans appel : le programme ICE a pour mission de retrouver et d’expulser tou·tes les immigré·es en un temps record. Consciente que la famille engage deux travailleur·ses clandestin·es, la police annonce qu’elle reviendra munie d’un mandat d’arrêt dans quelques jours. Les Barris, en volonté d’aide, proposent à Ana et son fils de les garder chez elleux, dans un espace de fortune aménagé dans la cave, qui ne s’ouvre que de l’extérieur et duquel iels ne peuvent sortir qu’à heure dite. En compensation, les employé·es peuvent continuer leur travail domestique, mais se voient confisquer leur portable, avec une interdiction formelle d’avoir le moindre contact extérieur. Si Ana accepte les conditions des Barris, Nico, qui ne les connaît pas, est bien plus soupçonneux, d’autant qu’il trouve rapidement des indices laissant à penser qu’il ne s’agit pas là d’un simple hébergement de circonstances.

La dualité sociale que nous propose At the gates fait penser au travail de Chabrol dans La cérémonie. La suspicion autour de ces deux cercles familiaux très éloignés vient surtout de leur incapacité mutuelle à communiquer. Lors d’un repas, la discussion est impossible, les Barris démontrant d’une méconnaissance géographique qui accompagne le mépris inconscient qu’iels dévoilent à leurs deux captif·ves. En contre-partie, c’est la suspicion de Nico qui éveille les violences, lorsque celui-ci refuse de se plier aux règles qui leurs sont imposées, comme des pièces interdites ou le fait de s’approcher des fenêtres. La cacophonie s’installe également entre les deux Salvadorien·nes, Ana ne voulant pas entendre mentionner les envies d’évasion de son fils, et faisant, malgré les divers indices que celui-ci trouve, une confiance toujours aveugle envers ses employeur·ses. En jouant sur les deux points de vue, et avec les codes d’un thriller psychologique, Augustus Meleo Bernstein nous manipule au même titre que ses personnages, nous confortant dans un sentiment d’insécurité pour mieux nous surprendre aux moments-clés. At the gates lui permet de poser des problématiques autour des immigré·es condamné·es à une vie de planque et de fuite, et leur capacité à accepter ce statut de manière indéterminée ; au même titre, il s’interroge sur la figure du sauveur blanc, de ces privilégié·es qui décident d’aider en s’exposant elleux aussi à des dangers, mais sans jamais réellement considérer la condition de celleux qu’iels décident de prendre en main, ni de se soucier si ces dernier·es ont réellement besoin d’aide.
At the gates surprend par ses ruptures de ton, et sa capacité à recentrer son sujet sur des problématiques moins sensationnalistes. Il se fait surtout le témoin d’un pays qui accueille mais disperse, et dont les moins réfractaires au concept de l’immigration n’ont pas l’intention d’intégrer les personnes qu’ils veulent bien voir sur leur territoire. L’incapacité de communication, c’est celle de l’Amérique, et de ses bien trop nombreuses contradictions.
At The Gates, d’Augustus Meleo Bernstein. Avec Miranda Otto, Noah Wyle, Sadie Stanley… 1h37