Le décès de David Bowie, deux jours après la sortie de l’exceptionnel Blackstar, album dont les thèmes sont centrés sur les adieux de celui conscient de son prochain trépas, a à raison bouleversé les esprits. Le compositeur britannique est de ces figures incontestables dont personne, amateur·ice de sa musique ou pas, ne peut nier l’influence et le talent illimité tant il a traversé les décennies avec brio. Toujours avec une longueur musicale d’avance, premièrement incompris, finalement copié, David Bowie a surtout réussi à jouer sur son image mystérieuse, qu’il a distillé à travers toutes ses interventions artistiques, notamment au cinéma. Le pari fou que propose Brett Morgen avec Moonage Daydream, c’est celui de sonder l’indicible, et de nous offrir un voyage survitaminé dans l’esprit de l’icône.
Qualifier Moonage Daydream de documentaire est d’ailleurs une notion imparfaite, tant le film dépasse son constat, pour partir sur une sphère fantasmée bien différente. Les interventions sont celles de Bowie lui-même, issues d’extraits de ses interviews. Pour le reste, nous suivons une chronologie incertaine, qui inclut diverses parties de concert, et des parties animées pour illustrer les morceaux utilisés – rappelant le travail d’Alan Parker sur The wall –, et offrir un caractère lunaire. Dès lors, les extraits de L’homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg gagnent en pertinence, tant c’est l’accent sur le Starman qui est fait, dans une première partie qui joue la carte du mystère, de l’ovni scénique, mettant des extraits d’interviews où le chanteur est questionné sur sa bisexualité, et sur tout ce qui peut choquer les mœurs d’une époque. Tout en parcourant les multiples périodes de Bowie, dont certaines où il était plus “calme” dans ses expérimentations – on pense notamment à la création de Tin machine, ou à Black tie white noise –, le film exploite ses excentricités vestimentaires, et la façon dont il conçoit sa vie.

Par ce procédé, nous voyons aussi l’histoire d’une vie, et les questions que l’on se pose à différents âges. Il est intéressant de voir David Bowie déclarer se refuser à avoir beaucoup de proches autre que la famille dont il a hérité par défaut, de peur de blesser tou·tes celleux qui seraient impacté·es par sa carrière grandiloquente. Puis de le voir renier cet état de fait lorsqu’à plus de 40 ans, il tombe amoureux et réalise qu’il est temps pour lui de ne plus être solitaire. Les choix visuels deviennent plus foisonnants, montrant l’esprit de Bowie se transformer, changer de couleur alors qu’il avance. Si le film est un bonbon pour les initié·es, qui peuvent se déhancher aux mélodies de leurs titres préférés, surtout quand ces derniers sont présentés dans des versions live, plus inédites, il ne peut que rendre curieux·ses celleux qui n’ont rien de familier avec la carrière du chanteur, et qui découvrent un univers riche, où tout est à découvrir. Le classic rock de Hunky Dory, les envolées semi-jazz d’Aladdin Sane, les expérimentations de la période berlinoise, le disco avec Let’s dance, l’électro avec Earthling, le métrage s’approprie le caméléon musical et dévoile ses coutures, laissant le choix au/à la spectateur·ice de voir où iel est interpellé·e.

Plus qu’une expérience, Moonage daydream propose un voyage, ne donne aucun repère et nous laisse nous perdre dans un labyrinthe tant musical que visuel, évitant de loin le documentaire classique. Un hommage parfait et inattendu, qui ne joue pas à l’habituel catalogue d’interventions fades, qui en oublient presque de nous faire ressentir ce qui fait le sel des créations citées, mais qui se concentre sur le ressenti.
Moonage daydream, de Brett Morgen. 2h14