D’événements que nous suivons de loin, il est difficile de considérer les impacts, et surtout les traumas qu’ils peuvent générer chez les concerné·es. L’ouragan Katrina, et ses 1 800 mort·es, est un exemple d’un pays en crise, qui a refusé d’envoyer des secours pour les populations noires, et où la police avait pour ordre de tirer à vue sur les pilleur·ses. De ce désastre humain, nous n’en voyons que l’impact psychologique sur les rescapé·es, qui gardent sous silence leur affliction et sont des bouilloires ambulantes, prêtes à exploser à tout instant.
Ce trauma de la Nouvelle-Orléans, nous le voyons sur le visage de Sandra, qui l’évoque lors d’une discussion, nous laissant libres interprètes des conditions qu’elle a du vivre, notamment lorsque nous apprenons qu’elle y exerçait en tant que représentante des forces de l’ordre. Reconvertie en professeure dans une université du Montana, c’est une femme recluse, isolée dans une bordure de forêt en pleine montagne que nous découvrons. Sous tension, Sandra n’est pas dans un quotidien confortable, et doit supporter les invectives qu’elle ressent de toutes parts. Les décisions du corps enseignant quant à l’inclusion d’élèves venant des réserves, noyées sous le racisme évident de ses congénères qui considèrent qu’avoir engagé Sandra, une femme noire, est une preuve de leur “bonne foi” ; les attouchements présumés de l’un des professeurs sur son assistante ; des éléments oppressifs qu’elle ressentait déjà dans le milieu policier, et qui démontrent d’une gangrène systémique. À cela s’ajoute la cerise débordante, deux chasseurs qui décident de venir se garer sur sa propriété, et qui lorsqu’elle leur fait comprendre son refus de voir leur pick up – et surtout leurs armes – à proximité de sa demeure, entament l’escalade de violences. L’incompétence de la police, qui refuse de se mêler des tribulations locales tant elle a conscience que ces bourgades reculées sont en auto-gestion, finit de convaincre notre héroïne qu’elle devra régler ses conflits elle-même. Dans cet amas d’obstacles, Julian Higgins peine à éviter l’effet catalogue lorsqu’il montre tour à tour les différentes injustices sociale qui affublent Sandra.

Dans son besoin de contenir ses émotions, et de ne pas céder à sa colère, Thandiwe Newton est impériale, et a l’occasion d’exploiter plusieurs de ses palettes. Seule contre tou·tes, elle nous transmet sa solitude, et un certain désespoir, quand la conscience que rien ne pourra se solder convenablement survient. Un sentiment qui accompagne le rythme du métrage, qui cède ses paysages blanchâtres à la mélancolie environnante. Dans ce Montana enneigé, peu de bonheur. La dépression est collective, chacun·e agissant pour sa survie mentale dans un cadre mortuaire. Le casting entourant notre héroïne joue dans cette ambiance délétère, notamment les deux chasseurs, dont l’on comprend pour l’un la dangerosité potentielle, l’autre une autre forme de désespoir, de ceux qui le forcent à couvrir les agissements de son ami alors qu’il n’en approuve pas le fond. On retrouve les thématiques de l’excellent As bestas, où les locaux·ales se débrouillent avec ce qu’iels ont, valeurs auto-proclamées ou éléments leur permettant d’égayer leur quotidien. Sandra évolue dans un monde d’hommes, où la brutalité de ces derniers aura le dernier mot.
Lorsqu’elle décide de riposter, de prendre une décision radicale pour s’apporter justice, le film évite soigneusement des choix qui pourraient le rapprocher du vigilante movie. Loin d’un Nobody ou d’un Death wish qui offrent dans l’exutoire une esthétique galvanisante, et qui soutiennent les agissements de ses protagonistes dans une morale morne, voire fascisante – en tout cas infecte –, God’s country laisse son personnage face à ses actes, à sa seule connaissance puisqu’ils sont pour nous en hors-champ. La question de la morale et du poids des responsabilités dans les affaires de mœurs se veut pesante, et, surtout, le film montre qu’une explosion de violence et de vengeance face à un système oppressant n’est pas dénuée de remords, et s’appuie sur la fragilité de l’humain.
Étrange sentiment donc devant ce God’s country, qui se veut l’engrenas du vide, une démonstration de personnages déjà morts qui s’entêtent à survivre dans un climat qui n’a rien à leur apporter si ce n’est leurs propres envies de pouvoir et de satisfaction de leurs pulsions. Les teintes ternes se justifient, et le rythme aussi, même s’il participe à un ennui poli, qui n’offre satisfaction que dans les moments d’échange, et le fond problématique que le film relève.
God’s country, de Julian Higgins. Avec Thandiwe Newton, Jefferson White, Tanaya Beatty… 1h43