On l’a prédit, répété, martelé par tous les bords, rien n’y fait : la machine à idée des grands studios est cassée. On ne va pas s’attarder à désigner un·e coupable – on avoue que nos suspicions vont malgré tout vers les frères Russo, qui ont essayé d’y insérer qu’ils avaient du talent, provoquant une surchauffe des circuits -, mais on en subit bien les conséquences. Partout, les annonces de reboots, remakes fusent, et avec elles leurs cousines improbables : les suites sorties de nulle part. Au milieu de Matrix 4 (peut-être la seule proposition alléchante vu que dame Wachowski est aux commandes), Le Flic De Beverly Hills 4, Un Prince À New York 2, Ghostbusters 3 (pas 3, 4, mais en fait 3 ; vous avez compris), Indiana Jones 5, on ne sait plus où donner de la tête.
Et voici que Bad Boys For Life, 3 donc, pointe son nez dix-sept ans après le second opus. Celui que l’on n’attendait pas, que personne ne voulait, peut après tout sembler comme une promesse. À l’heure où on essaie de ne froisser personne quitte à perdre une patte, un propos critique et se lisser au possible, on peut avoir besoin d’un cocktail de testostérone à bas prix, de blagues nauséabondes décomplexées et d’action qui valdingue dans tous les sens. Sans aucune autre raison que celle du gros spectacle qui tâche, et nous rappelle qu’aux États-Unis, y’a des crétin·es avec des flingues qui aiment tout faire péter, et qu’on peut quand même s’éclater devant. Pourtant, dès la première apparition des bien mal-aimés Marcus (Martin Lawrence) et Mike (Will Smith), quelque chose nous titille, une sale impression qui ne nous lâche pas.
Bad Boys…Sans les Bad Boys
On a l’emballage Bad Boys, un faux-semblant des thématiques des deux précédents films, mais un contenu bancal, sans réelle saveur, qui se contente de réchauffer le plat sans le ré-agrémenter. Les traits de caractère de Marcus et Mike sont juste copiés, ne représentent aucunement le temps passé, si ce n’est qu’on nous martèle qu’ils ont vieilli. Marcus veut toujours se ranger, arrêter les conneries et ne plus se mettre en danger – gimmick récurrent de l’Arme Fatale, l’aîné adoré de la saga, mais qui dans ses quatre films parvenait à renouveler son propos – et Mike est toujours un fonceur/tombeur, qui veut en découdre jusqu’à être entre quatre planches. Ajoutons à cela une intrigue idiote (là-dessus, c’est raccord) sous fond de vengeance d’éléments importés de nulle part (le passé de Mike) et on obtient un penchant de la recette bâclé et bancal. Mais après tout, pourquoi pas. Bad Boys et sa suite n’ont jamais brillé par la clarté de leur scénario, ni par l’intelligence de leurs personnages, et le cocktail détonant d’action devrait relever la sauce.

Mais là aussi, on s’aperçoit rapidement qu’on ne va pas avoir grand chose à se mettre sous la dent. En plus de décors recyclés, dont la grande majorité sont filmés par la seconde équipe, offrant une panoplie de cartes postales de Miami sans grain et sans âme, Adil El Arbi et Bilall Fallah sont incapables de poser leur caméra dès lors qu’il doit y avoir du rythme. En résultent des scènes d’actions cutées au possible et n’arrivant pas à iconiser quoi que ce soit, des ralentis censés apporter des poses bad-ass mais qui ajoutent au pathétique. Certaines chorégraphies semblent avoir de la gueule sur le papier, mais sont massacrées par un découpage hasardeux, doublé de raccords tout aussi hésitants, qui font rapidement peine à l’œil, qui lui, contrairement au cerveau, n’a malheureusement pas été posé à côté. On en regrette terriblement Bay, sa mise en scène totalement chaotique et sans logique qui au moins fait tout pour nous envoyer des plans toujours plus cons, toujours plus gros, mais qui nous font rire gras à gorge déployée jusqu’à ce que le pop-corn qu’on s’enfourne en masse nous étouffe.
La mort du fun
Surtout, le point magistral où le film foire totalement sa démarche, c’est sur sa volonté de désamorcer toute situation qui pourrait apporter une once de mauvais goût, de personnages qui assument leurs travers. Martin Lawrence, physiquement absent de toute manière, pouvait se contenter d’avoir ses envies de retraite qu’il claironne depuis trois films, mais la bonne idée a été de lui ajouter la couche de bigoterie qui va avec. Au moins, niveau ode à l’Amérique dans toute la splendeur de sa connerie, c’est une case de cochée. Alors on y va à grands coups de violons sur sa demande au bon Dieu, en voix-off, de ne plus mettre d’arme de mort sur son chemin, on le fait courir avec des chapelets et des croix au cou, Marcus est gentil parce que tu comprends, maintenant il est papy, les papys c’est gentil, et de toute façon Dieu il a dit tu tues plus sinon t’auras pas de rab de bacon au p’tit déj. Les dialogues sont donc condensés dans cet enchaînement de niaiseries imbuvables. Niveau visuel, on est loin des deux briscards réunis pour une dernière mission. Chaque fois qu’une situation se corse, qu’un duel se dessine, une équipe de minots débarque pour sortir nos héros du dit conflit. Tou·tes peroxydé·es et lisses, iels représentent la team « politiquement correct », qui se bat avec des balles en caoutchouc – ou du bodybuilder qui lui refuse de se battre parce qu’il est traumatisé, le loulou -. Les petits frères de l’Arme Fatale n’ont pas leur moment de gloire, leur côté « seuls contre tous » qui pourrait les iconiser, ou seulement dans des bourrasques qui se calment en deux minutes.

Mais s’il y a bien un élément qui rendra hilares tou·tes celleux qui depuis quelques années gardent les comptes, c’est une fois encore la volonté de Will Smith de prouver à chaque métrage qu’il est un bon papa. On s’est poilé devant Aladdin, Gemini Man, Men In Black III, Suicide Squad, et l’ami Will se sent obligé de balancer ses vieilles valeurs sur la famille, qui ternissent ses films et chacun de ses rôles. On se pensait épargné dans Bad Boys tant Mike Lowrey est hors de ce carcan, mais c’est sans compter sur l’acteur, qui a évidemment mis un pied dans la production, et qui nous impose un rapport père-fils improbable, qui donne le droit à des dialogues ridicules et un retournement de situation qui fait clairement tomber du siège. Ici au milieu du mélange d’idées bien nazes, ça passe crème, et au moins, on finit sur un fou rire, à l’image de la scène post-générique qui balance l’annonce d’un quatrième volet avec les gros sabots et une affiliation qui va faire tomber la franchise dans un « Fast-And-Furious-Like » (encore que dans Hobbs & Shaw, les dialogues entre les deux bovins avaient des moments savoureux). Parce que la Famille, c’est important.
Maintenant que nous avons énuméré ce qui ne va pas, et la liste était longue, allons vers ce qui va. Y’a un caméo de Michael Bay. Voilà, c’est tout. Le rappel qu’un jour, il y a eu un réalisateur à la barre, un déjanté incontrôlable qui nous a fait passer par toutes les émotions, du plaisir coupable à l’avalanche de dégueulis. Du ressenti, en somme. Qu’on se rassure, avant le quatrième volet qu’il devrait, semble-t-il mettre en scène, vous pouvez aller vous éclater la rétine et le foie sur 6 Underground, qui condense tout ce qu’on aurait aimé voir dans ce Bad Boys, la montagne de coke en surplus. Des personnages complètement cons, qui éclatent des trognes à tout va, dans un montage imbitable mais qui en fout plein la vue.
Alors ouais, la machine à idées, la même qui généralement produit les films de Noël de Netflix, est pétée. Elle accouche de projets malades par centaine, et y’a pas grand chose pour l’arrêter vu que de toute façon, y’a du pognon qui tourne. Et surtout, elle relance pleins de vieilles sagas en mettant à leur tête des incompétent·es (producteur·ices, réalisateur·ices ? Les deux ?) qui n’y comprennent rien. On verra bien la prochaine.
Bad Boys For Life, de Adil El Arbi et Billal Farrah. Avec Will Smith, Martin Lawrence, Joe Pantoliano…2h04
Sortie le 22 janvier 2020