Fitting In

[CRITIQUE] Fitting In : Entraînement de vagin !

Il est galvanisant de voir que le cinéma s’implique dans une représentation plus diversifiée de la femme. Si cela passe par un nombre plus important de réalisatrices portées sur grand écran, il est tout aussi important d’entendre de nouveaux récits. Molly McGlynn fait partie de ces nouvelles réalisatrices qui, en seulement deux films, offrent un nouveau regard sur les femmes et leurs corps. Fitting In est l’occasion pour elle d’en dévoiler un peu plus sur son adolescence quelques peu traumatisante.

Molly est atteinte du même syndrome que Lindy, son personnage principal : le syndrome MRKH (une affection congénitale rare caractérisée par l’absence d’utérus et d’au moins les deux tiers supérieurs du vagin). Lorsqu’à 16 ans, on lui annonce qu’elle n’aura jamais ses règles, ne pourra pas avoir d’enfants ni de relations sexuelles à moins de s’entraîner avec des dilatateurs vaginaux de plusieurs tailles pour se “construire” un vagin, le quotidien de l’adolescente ne peut être que fortement éprouvé. Un séisme à un âge où l’on découvre son corps et expérimente les premières relations sexuelles. C’est dans ce chaos absolu que Lindy essaie d’évoluer tout en étant étouffée par une mère surpropectrice en rémission d’un cancer du sein, un petit-ami qui attend patiemment de passer à l’acte et une meilleure amie à qui elle a peur d’avouer la vérité.

Des problèmes de femme dans un monde d’hommes

Fitting In est remarquable à bien des égards. S’il semble évident que nous vivons dans un monde patriarcal, celui-ci se retrouve dans toutes ses strates, particulièrement le domaine médical. En témoigne une des premières scènes de Lindy chez le gynécologue, où elle se fait ausculter par un homme aux cheveux grisonnants mais surtout aux gestes brusques, sans considération. Une séquence gênante, qui atteint un nouveau palier lorsque la jeune femme, toujours allongée et les jambes écartées, accepte à contre-coeur que des étudiants viennent l’observer. La négation qu’elle finit par évoquer se voit ignorée. Avec simplement quelques mots (“Finalement non”) et un regard, Molly McGlynn met le doigt sur une réalité quant à la notion de consentement, ignorée régulièrement mais bien plus questionnable dans un lieu de santé où le sentiment de sécurité devrait être le mot d’ordre. La première partie du film se veut comme un pamphlet mettant en exergue toutes les absurdités qui peuvent exister, nous poussant à nous questionner quant à un milieu qui a du mal à évoluer.

La condition de Lindy prête aussi à réfléchir quant au concept de “normalité” revendiqué par le corps médical mais aussi par la société. La réalisatrice pose les bonnes questions en se demandant s’il est absolument nécessaire de proposer à une jeune fille de 16 ans une opération invasive pour se faire construire un vagin, d’utiliser des dilatateurs vaginaux ou s’obliger à avoir des relations pour “s’entraîner”. Son corps qui n’est plus sien appartient désormais à la société qui attend d’elle qu’elle rentre dans le moule. Moule que Molly McGlynn dynamite à travers le personnage de Jax, étudiant·e intersexe qui se revendique comme non-binaire et qui vit sans se soucier du regard des autres. La rencontre entre Lindy et Jax offre de beaux moments de complicité tout en mettant en avant une autre condition qu’on voit peu sur grand écran et qui questionne également la normalité du corps, notamment lorsqu’iel explique que ses parents ont décidé d’une vaginoplastie à l’âge de 12 ans. Outre Maddie Ziegler qui offre là une performance tout en retenue – la réalisatrice préférant se concentrer sur son visage, ses expressions et ses émotions -, Ki Griffin qui incarne Jax est certainement la révélation du film. Un·e acteur·ice qui dégage quelque chose d’unique et de sincère qui a su embrasser qui iel était et donner corps à ce personnage qui nous aura marqué par son humour et sa douceur, en plus d’être le/la seul·e a comprendre ce que peut vivre Lindy.

Lindy’s body

Si Fitting In épouse la forme classique du teen movie, la réalisatrice préfère s’attarder sur les expressions de Lindy notamment lors de ses séances d’étirement vaginaux. Si son corps est au cœur du film, il n’est pas le sujet principal de la caméra qui garde une certaine distance et pudeur avec son sujet pour qu’il puisse mieux s’épanouir sous nos yeux. Tout en traitant un sujet sérieux, la cinéaste injecte beaucoup d’humour pour dédramatiser au maximum une situation qui n’a finalement rien d’anormal. Quelque chose de résolument pop se dégage de là avec son rose pétant ou sa séquence qui ferait trembler un·e épileptique – représentant le moment charnière où Lindy lâche prise -. On y retrouve également de nombreuses références cinématographiques qui se croisent et se répondent : Jennifer’s Body, Carrie au bal du diable ou encore Ginger Snaps.

Si les relations amoureuses et amicales de Lindy sont au cœur de Fitting In, la relation qu’elle entretient avec sa mère Rita est tout aussi précieuse. Ce qui est beau ici ce n’est pas seulement l’intensité de leur relation qui leur permet de tout se dire, mais aussi leur capacité à se comprendre tout au long de ce voyage qui est aussi difficile pour l’une comme pour l’autre. Rita ayant subi une mastectomie sait ce que signifie être jugée par la société comme “anormale” tout comme elle ne connaît que trop bien la crainte du rejet. Si elles ne correspondent peut-être pas aux standards de la femme parfaite, leurs imperfections se complètent. Une autre façon de dépeindre les relations parents-enfants dans les films pour adolescents sans que cela ne tourne à l’affrontement constant.

Il est certain que Fitting In marque un tournant dans la représentation du corps féminin sur grand écran. En mettant en lumière un syndrome encore méconnu, Molly McGlynn fracasse les portes pour mieux étaler sur le tapis le nombre de problèmes inhérents au monde médical mais aussi à la société peu encline à accepter que le concept de normalité est une fumisterie. Résolument engagé, Fitting In ne recule devant rien et s’entrevoir comme un coup de pied au cul bienvenu.

Fitting In de Molly McGlynn. Avec Maddie Ziegler, Emily Hampshire, Djouliet Amara… 1h45

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