Second tour

[CRITIQUE] Second tour : Coucou les cons

Pour tout·e admirateur·ice de l’œuvre d’Albert Dupontel, la relation entretenue avec le réalisateur est celle d’un vieux couple : on commence à bien le connaître mais surtout à l’aimer inconditionnellement dans ses éclats filmiques comme dans ses imperfections qui nous apparaissent comme partie intégrante de ses charmes. Artiste plongé dans ses névroses à l’exception près d’Au revoir là-haut, même s’il nous aura présenté là celles d’autres, tout aussi chaotiques , qu’il choisit de tourner en dérision plutôt que de nous en offrir leur penchant le plus sombre, il met en images ses doutes et obsessions dans des écrins comiques où le divertissement qu’il considère comme essentiel à l’appréciation cinéma est le mot-roi. Par ses personnages souvent naïfs, il questionne le monde qui nous entoure mais surtout tente de sonder l’humain·e.

Cette même naïveté peut interroger quant à certains sujets des fois survolés Adieu les cons, où quand une scène voulue romantique tourne à la gêne , mais démontre toujours d’une indéniable sincérité de la part de l’auteur. Une chose qui se dénote dans tous ses films, c’est ce dégoût des institutions et ce défi de l’autorité. La police en prend régulièrement pour son grade, jusqu’à être infiltrée dans Enfermés Dehors, et les postes à responsabilités sont tournés en dérision, point de départ de l’humour de Dupontel. Incarnant toujours ce premier rôle en total décalage avec sa réalité et représentant parfaitement cette volonté de rébellion aux limites anarchiques, il n’est pas étonnant de voir le réalisateur s’attaquer à une satire politique, infiltrant par son personnage-clé les hautes sphères de l’état. Sauf que l’on comprend vite que la politique, Albert Dupontel n’en a rien à foutre.

Dans Second tour, la façon dont les personnages sont représentés dans le champ interroge. Elle prend une part en réalité cruciale mais difficilement décelable aux premiers instants. La manière dont la caméra joue avec le flou, donnant tant d’impressions d’immensité les scènes de foule où le mouvement semble incontrôlable , que d’enfermement dans l’espace les scènes de bureau où les contrastes semblent irréels , tout est fait pour nous donner un sentiment de malaise lorsque nous ne comprenons jamais ce qui est autour des protagonistes. Par ces couleurs très vives, mais sentant le renfermé lors des scènes d’intérieur, la dystopie est palpable et Dupontel n’a jamais été aussi proche de son ami et mentor Terry Gilliam, tant certaines teintes nous font penser à l’enfer de Qohen Leth dans Zero theorem. Le procédé renforce l’empathie envers les personnages : puisque ce sont les seuls qui sont visibles dans cet environnement flou, nous nous y raccrochons comme à des bouées rassurantes, et retrouvons les archétypes que Dupontel a disséminé tout au long de ses œuvres. Archétypes qu’il dote des mêmes visages en rappelant son éternelle panoplie de copains. Un film d’Albert Dupontel, c’est aussi un film de Nicolas Marié, éternelle figure bienveillante au tempo comique unique ici par l’utilisation de références footballistiques hilarantes, qui aident le personnage tant à se démener qu’à comprendre chaque situation. C’est aussi un film de Philippe Uchan, inépuisable bizut dont la tête de poupon à claquer ne se détache pas du sobriquet “Super Connard” dont il écope. Au rang des abonné·es, Philippe Duquesne et Bouli Lanners sont de la partie. Une zone de confort donc, qui ne sonne pourtant jamais comme une redite tant il réutilise ses figures pour les tordre dans un nouveau récit porté quant à lui par un visage nouveau, celui de Cécile de France.

Son personnage, c’est Mademoiselle Pove, journaliste politique brillante reléguée “au foot” pour ses volontés investigatrices et sa réputation de fouille-merde. Mettre un·e journaliste au placard parce qu’iel est trop investi·e dans ses recherches, et que ça ne plaît pas aux actionnaires, donne une idée précise quant à la qualité de son travail. Un concours de circonstances et la voilà revenue dans son sujet de prédilection, avec le regard omniprésent de Super-Connard, patron-pantin du grand capital (comprendre : c’est Hanouna), et la mission de couvrir la campagne présidentielle. L’occasion pour notre Élise Lucet d’aller gratter les croûtes, et d’utiliser ses accréditation pour démasquer les desseins autour du candidat favori, Pierre-Henry Mercier, qui semble plus aliéné que convaincu par les idéaux de la droite financière qu’il représente. Elle est surtout liée au candidat qu’elle a connue plus tôt, dans une proximité lycéenne qui donne quelques clés premières quant à ce que souhaite développer Dupontel dans cette histoire. De la politique, sujet de cœur qui n’en est pas un, nous ne voyons que les langues de bois, les éditoriaux journalistiques qui ont déjà pris parti avant que les dits reportages ne soient écrits et la manière dont toute cette machine est bien huilée par une bande qui a déjà prévu ses cartes quant aux futures actions du peuple. Mercier, c’est Macron : une poupée dont les discours mécaniques permettent à une clique de milliardaires de décider du sort de millions encore qu’il n’a pas l’air aussi sociopathe. Dans une courte scène didactique qui fait terriblement écho à notre quotidien, Mlle Pove devine les discours, explique les positionnements et démontre du regard totalement vidé de toute pensée du politicien. Une vérité établie qui n’a pas besoin d’être dénoncée et c’est terrible ! : nous connaissons déjà la France des multinationales, la corruption des puissant·es, les conflits d’intérêt et les magouilles en interne ; Dupontel ne fait que souligner l’absurdité d’un système par des personnages pleinement conscients du cynisme qui tend à les manipuler. Derrière ce visage sans aspérités, notre héroïne décèle le sentiment, la fausseté. En posant une question “non-autorisée”, elle dérègle la machine, dévoilant l’idéal écologique, raison de sa montée politique et vecteur de sa future trahison, mettant sa vie à prix par le même basculement.

Mais dans le cadre de son enquête, Mlle Pove ne tente pas tant de vérifier si le représentant accompagne bien les idéaux qu’il représente, mais cherche plutôt à découvrir ce qui le lie à certain·es de ses proches, notamment son garde du corps avec qui le lien semble plus fort qu’il n’y paraît. Un véritable fil narratif se crée, loin du superflu auquel nous assistions. Dupontel ré-humanise son personnage, dévoile l’homme fragile et éreinté derrière les yeux noirs et froids. Sa narration dissimule progressivement les enjeux grandiloquents pour mettre en lumière sa véritable histoire, un drame familial qui ramène son cinéma dans la dimension intime qu’il aime tant. Ce Second tour prend l’aspect d’un conte maladroit dont la crédibilité laisse place à la poésie quand ces mêmes personnages se laissent bercer au son du vol des abeilles, élément déclencheur. La naïveté amorcée dans son cinéma depuis Le vilain s’instaure sur deux plans dans la recherche d’identité de ses personnages qui se retrouvent par le fruit d’un heureux hasard mais aussi dans l’évocation des réels enjeux, dynamiter le paysage politique pour imposer une écologie radicale. Une naïveté qui s’accompagne d’un fatalisme certain quand Second tour démontre qu’un tel enjeu est impossible dans le monde actuel, aucunement préparé à réfléchir, constater, accepter et changer ses habitudes.

C’est là que tous les questionnements autour des choix visuels que nous évoquons en préambule trouvent leur sens. Ces personnages clairs dans une dimension flou, bruitiste et pleine de monde ne sont pas perdus : ils sont l’unique chose qui intéresse la caméra. Nul besoin de s’intéresser à tout ce qui les entoure, l’histoire que compte raconter Albert Dupontel est de l’ordre de l’enfoui, de la tragédie humaine derrière les faux chatoiements. Nous ramener à une forme de simplicité, en rappelant que la beauté se situe surtout loin de l’idéal inatteignable, ne signifie pas oublier le formalisme visuel qui fait l’attrait de son cinéma. En plus de cette direction artistique surtout au niveau des contrastes surprenante, Second tour joue de ses effets toujours ludiques, sa façon de narrer un même événement avec originalité, et de toujours nous offrir de quoi être interpellé·es. Jamais la mise en scène ne se repose et si elle est ici plus sage, elle n’en reste pas moins inventive.

Malgré une démonstration de ses qualités, Second tour ne représente pas Dupontel à son meilleur. Peut-être parce qu’on le connaît trop. S’il surprend dans certains de ses choix, il se conforte trop dans d’autres, semblant copier ce qui fait son succès dans un nouvel écrin et laissant un sentiment d’ennui dans sa première partie qui, bien que brillamment écrite, a éculé la recette. Sa seconde partie, très mielleuse, peut d’ailleurs en laisser plus d’un·e de côté, tant la bavasserie enfantine prend le pas. Mais ce serait douter d’une sincérité absolue, la force d’une fable à laquelle il suffit de croire. Si Albert Dupontel ne croit pas aux institutions, et nous offre dans sa conclusion une note amère qui n’apporterait l’utopie que par des biais irréalistes, il croit profondément aux hommes, et les exhorte à se réveiller. Une petite comédie sans prétention, des dires de l’auteur, mais qui relève bien plus qu’il ne veut bien l’admettre.

Second tour, de, avec et écrit par Albert Dupontel. Avec aussi Cécile de France, Nicolas Marié, Philippe Uchan… 1h35
Sortie le 25 octobre 2023

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