À l’heure où le Festival de Cannes reste problématique dans son édition 2023 par ses choix de glorification (avec les présences de Johnny Depp, Maïwenn, Catherine Corsini, ou encore par les propos de son délégué général), How to have sex demeure la proposition la plus intéressante sur des thématiques que l’événement semble, donc, ignorer. Molly Manning Walker, sa réalisatrice, illumine la question du consentement à travers les jeux de regard et les non-dits d’une bande d’ami·es, tout en tension et en immersion.
Tara, Skye et Em fêtent la fin du lycée en partant dans une station balnéaire au bord de la Méditerranée. Elles veulent se vider la tête, oublier leurs réussites (ou potentiels échecs) scolaires en faisant la fête avec tous les excès possibles. Elles rencontrent leurs voisin·es, trois anglais.es qui sont dans la même optique. Pour Tara, ce séjour devient électrique face à l’euphorie collective, est-elle vraiment libre d’accepter ou de refuser les expériences qui se présentent à elle ?
Les trois ami·es débarquent de l’aéroport vers leur destination et tout le monde comprend que le but de ce voyage, à travers leur discussion, c’est de s’éclater, ensemble ou pas. La réalisatrice insiste à travers plusieurs dialogues introductifs (jusqu’à la première fête) sur le caractère collectif de l’instant mais également sur les volontés personnelles. L’une veut ne pas rentrer de la nuit, l’autre trouver un garçon ou plusieurs… Molly Manning Walker ne porte aucun jugement sur cette jeunesse qui veut vivre de nouvelles expériences en solo ou en groupe. Tara semble être le reflet du/de la spectateur·ice. La première partie semble éprouvante tant elle est immersive pour elle et pour nous. Tous les moments de fêtes et d’excès l’isolent de plus en plus, elle qui voit ses amies Skye et Em s’assumer et rencontrer des nouvelles personnes pour passer la nuit. Au détour d’un jeu de vérités, elle annonce être encore vierge, ce que personne ne prend au sérieux alors que c’est l’élément déclencheur de la seconde partie.
Dès lors, la réalisatrice entraîne Tara et les spectateur·ices dans un tourbillon d’émotions. Son montage permet d’alterner entre les moments de solitude et de peur chez Tara et les moments d’excès et d’inquiétude chez ses ami·es au moment où elle semble avoir disparu. Cette disparition est vite balayée par l’acte de violence qu’elle a subi tout en gardant le silence. À travers de simples regards et une attitude silencieuse, en totale contradiction avec la première partie du film, Tara s’éteint du récit et devient, comme nous, spectatrice des excès de ses ami·es. Les violences qu’elle a subies se répètent une seconde fois, presque sous les yeux des autres, aveuglé·es et assourdi·es par la fatigue. Au-delà de vouloir parler de consentement, Molly Manning Walker met le doigt sur les violences sexuelles ritualisées pour les adolescentes à travers le « Oui » prononcé mais le « Non » ressenti, Tara n’étant plus propriétaire de son corps à ce moment-là tant son agresseur la prive de liberté (de bouger, de parler) dans les deux scènes, glaçantes, en totale contradiction avec la musique non loin de là (dans la première) ou avec le rire de ses ami·es (dans la deuxième).
La réalisatrice parvient à capter un dynamisme certain dans ce groupe d’amies qui ne parlent pas véritablement et vivent l’instant présent. La conclusion amène Tara à se confier à l’une d’elles et à l’un des amis de son agresseur, les deux réagissent de la même manière : en se dédouanant de n’avoir rien constaté par des remarques (« Tu aurais dû le dire de suite » et « C’est juste un copain d’enfance ») qui marque déjà le passage de Tara de victime à quelqu’un qui doit se justifier d’avoir vécu l’impensable, même si le dernier regard entre elle et son amie au moment du départ est l’un des plus tendres du film. Même avec toute l’optimisme dont elle peut faire preuve en voulant montrer cette jeunesse ivre de liberté et d’émancipation, Molly Manning Walker montre que le chemin reste encore long avant que la notion de consentement soit comprise par tou·tes.
How to have sex écrit et réalisé par Molly Manning Walker. Avec Mia McKenna-Bruce, Samuel Bottomley, Lara Peake… 1h28