Si la carrière de M. Night Shyamalan peine à rallier le grand public depuis Signes, considéré par beaucoup comme son meilleur film même si ses défenseur·ses continuent à l’acclamer avec assiduité, le réalisateur n’a de cesse d’explorer les vices et peurs de l’humain. Deux ans après Old, il revient avec un nouveau long-métrage passionnant à décortiquer et qui s’inscrit dans la lignée de ce qu’il aime raconter : la complexité humaine.
C’est dans un cadre bucolique que nous faisons la connaissance de la petite Wen s’amusant dans la forêt à capturer des sauterelles qu’elle enferme soigneusement dans un énorme bocal en verre tandis que ses parents s’installent dans un chalet qu’ils ont loués non loin de là. La forêt qui semble si agréable se transforme en quelque chose de plus inquiétant lorsqu’une ombre surgit. Leonard fait connaissance avec Wen et lui annonce que lui et ses trois autres amis ont une mission de la plus haute importance. Pire encore, sa famille doit également faire un choix afin d’éviter l’Apocalypse.

Après la bande dessinée Le château de sable pour Old, Shyamalan adapte le roman de Paul Tremblay The cabin at the end of the world. À quelques détails près (dont son dénouement), le long-métrage est assez fidèle au matériau d’origine. La première chose qui frappe dans Knock at the cabin, c’est son affiliation évidente avec Old et, plus loin encore, Phénomènes, les trois s’inscrivant dans une veine écologique. Phénomènes développe d’un côté l’idée même que la terre propage des particules toxiques, entraînant la mort de quiconque les inhale, comme réponse à une humanité qui la néglige depuis bien trop d’années. Old quant à lui nous confronte à une menace qui semble venir directement de notre planète et qui confronte chacun·e à sa propre mort et la peur du temps qui passe. Si le sort semble s’abattre aussi dans Knock at the cabin, c’est pour cette fois-ci pousser la réflexion de chacun·e présent·e dans cette pièce quant à ce qu’iel représente et sa capacité d’abnégation. Quel sacrifice sommes-nous prêt·es à faire pour le bien commun ? Plus important encore, Shyamalan continue de se préoccuper de ce que l’humanité est en train de subir. De nombreux thèmes sont abordés. Le premier est forcément la modernité de son propos en mettant en son cœur un couple homoparental : Eric et Andrew. Dès que les quatre individu·es s’introduisent de force chez eux, Andrew est persuadé qu’ils sont visés à cause de leur orientation sexuelle. Une image d’autant plus forte quand on connaît la fragilité de la communauté LGBTQ+ aux États-Unis où leurs droits continuent d’être bafoués. Même si cette raison est immédiatement balayée par Leonard et ses comparses, le réalisateur continue d’explorer la société américaine.
À la manière de Signes, Shyamalan fait de son espace confiné une fenêtre sur le monde qui les entoure. Si la famille composée de Joaquin Phoenix et Mel Gibson assiste impuissante à une invasion extra-terrestre, la famille de Wen assiste quant à elle (presque) impuissante à la fin du monde. Le cinéaste aime s’amuser avec le/la spectateur·ice puisque le tout est de savoir si cette fin du monde va réellement arriver, ou non. À l’heure où les fake news, les faux comptes sur les réseaux sociaux et les manipulations d’images sont plus présentes que jamais, il est presque obligé de se forger sa propre opinion face au flot d’informations que l’on reçoit tous les jours à la télévision, dans les journaux ou sur internet. Reste maintenant à savoir si Leonard, Sabrina, Redmond et Adriane sont réellement venu·es pour sauver le monde de l’Apocalypse ou s’iels sont de simples fanatiques adeptes de la théorie du complot prêt·es à tout pour faire valoir leurs idées en dépit du bon sens et de la vie d’autres individu·es.

Pour mettre tout ça en place, Shyamalan propose une mise en scène léchée. Sa caméra posée n’en est pas moins terrifiante quand elle suggère le danger ou quand elle filme les mises à mort, cruelles et brutales. Il est tout aussi intéressant de voir que dès les premières minutes, il adopte le point de vue de Wen. Cette enfant qui se retrouve kidnappée mais qui, malgré tout, développe une certaine affection pour ses ravisseur·ses, notamment Leonard, qu’elle ne voit jamais totalement comme un ennemi. Ce procédé permet au spectateur·ice d’être immédiatement en empathie avec tout ce petit monde. L’utilisation des flash-backs (parfois un brin excessifs) offre un passé à chacun·e d’entre elleux afin de comprendre leurs motivations mais aussi de les rendre humain·es. À ce jeu-là, Shyamalan a trouvé un casting en or. La tête de file incarnée par Dave Bautista nous confirme un avenir brillant pour l’acteur qui avait déjà confié par le passé vouloir sortir de son rôle dans Les Gardiens de la Galaxie. Rupert Grint se fait également rare sur grand écran mais sait choisir ses rôles, jouant ici sur la corde de l’élément perturbateur du groupe. À leurs côtés, Nikki Amuka-Bird (déjà aperçue dans Old) et Abby Quinn offrent des figures réconfortantes.
Une constante dans le cinéma de Shyamalan, son appétence pour les twists de fin. Ici, ce dernier est attendu dès les premières minutes, permettant au réalisateur de dévoiler une fin qui n’a finalement rien de très surprenant. C’est cependant dans ses dernières minutes que toute la beauté du cinéma de Shyamalan se dessine : ce sont les croyances des un·es et des autres qui nous font vivre et prendre nos décisions mais au final, c’est l’amour qui l’emporte. Et dans un monde qui semble aller de plus en plus mal au fil des jours, il est peut-être utopique mais ô combien rassurant de pouvoir se raccrocher à ce sentiment puissant qui fait battre le cœur d’une famille, ici ou dans l’au-delà.

M. Night Shyamalan frappe fort en ce début d’année avec un film passionnant s’inscrivant dans la continuité de sa filmographie et faisant du cinéaste un prophète à sa façon. Il se pourrait bien que la fin du monde approche, que les avions tombent du ciel, que les orages nous éclatent à la gueule mais en attendant il nous reste toujours le cinéma de Shyamalan qui saura soit nous réconforter, soit nous conforter dans l’idée que l’Apocalypse n’est finalement jamais loin. À chacun·e ses croyances…
Knock at the cabin réalisé par M. Night Shyamalan. Écrit par Paul G. Tremblay et M. Night Shyamalan. Avec Jonathan Groff, Ben Aldridge, Dave Bautista… 1h40
Sortie le 1er février 2023