Sept ans après s’être essayé au cinéma français avec des retours mitigés pour Éternité, le réalisateur vietnamien Tran Anh Hung revient en grande forme et un casting de renom pour La passion de Dodin Bouffant, libre adaptation du roman du – presque – même nom de Marcel Rouff.

Eugénie est une cuisinière hors pair qui ravit les papilles du gastronome Dodin et de ses ami·es qu’il invite régulièrement chez lui. Voilà 20 ans qu’iels travaillent main dans la main pour améliorer leurs recettes en compagnie de Victoire, leur bonne. Pas seulement partenaires de cuisine, iels le sont aussi hors des fourneaux. Pourtant Eugénie, électron libre, refuse d’épouser Dodin malgré ses multiples demandes. Bien décidé à faire succomber la femme de sa vie, Dodin fait quelque chose qu’il n’avait jamais fait auparavant : cuisiner pour elle.
Si on sait que le cinéma asiatique a ce talent pour filmer la nourriture comme personne, le cinéaste vietnamien met tout son art au service de la France pour sublimer ses plats : de l’omelette norvégienne à la côte de veau en passant par le pot-au-feu, tous nos sens sont mis en éveil. L’ouïe de par les crépitements des légumes enveloppés dans le beurre; la vue de par ses couleurs, la façon minutieuse de travailler l’aliment ; le toucher qu’on peut aisément imaginer lorsque Benoît Magimel plonge ses mains dans la carcasse d’un poulet pour en extraire les organes ou lorsque Juliette Binoche caresse du bout des doigts la peau du poisson plongé plusieurs heures dans le lait pour l’adoucir. Quant au goût et à l’odorat, jamais nous n’avons eu autant envie qu’un film arrête un tel supplice tant nous aimerions être à leurs côtés et déguster ces délicieux mets. La cuisine est magnifiée, de la récolte avec les mains dans la terre jusqu’à son service à table. Un art gastronomique remis sur un piédestal qui rend bien fade tout ce qu’on peut manger après la séance.
Si la cuisine est évidemment au coeur du récit, l’amour y a une place également prépondérante. Celui que portent nos deux protagonistes à l’art culinaire ou celui qu’iels se portent l’un·e à l’autre. Un amour qui s’est également créé dans le respect, Bodin n’hésitant pas une seule seconde à mettre Eugénie en avant. Seule ombre au tableau, ce mariage qui tarde à arriver. Bodin sort le grand jeu pour séduire sa dulcinée en lui cuisinant tout un menu qu’il a élaboré de A à Z. La magie opère autant pour Eugénie que pour le/la spectateur·ice qui se retrouve totalement subjugué·e par cette dévotion qui suinte sur chaque centimètre de l’assiette. Tandis que toute la première partie du film se concentre exclusivement sur la cuisine, la seconde la délaisse un peu pour se concentrer exclusivement sur leur relation. Quelque chose d’extrêmement beau et fragile en sort – une fragilité qu’on comprend assez rapidement et qui nous est tout aussi dévastatrice -, qui résonne avec la première partie dans sa façon d’aborder la cuisine. Que ce soit pour l’un ou l’autre des sujets, la mise en scène de Tran Anh Hung est toujours aussi minutieuse, la caméra au plus près des corps et des mouvements pour capter chaque subtilité.

La passion de Dodin Bouffant est enivrant. Le duo formé par Juliette Binoche et Benoît Magimel touche des sommets de délicatesse au service d’un film merveilleusement sensuel qui se déguste avec les yeux et les oreilles à défaut de pouvoir y goûter. Un grand film beau et bon, d’une simplicité presque déconcertante.
La passion de Dodin Bouffant, écrit et réalisé par Tran Anh Hung. Avec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger… 2h14
Sortie le 8 novembre