La Shoah, son histoire, ses prisonnier·es et ses camps de concentration sont des sujets qui ont très souvent trouvé leur place sur grand écran via plusieurs prismes. Alors qu’on pensait cette thématique éculée, Jonathan Glazer revient dix ans après le troublant Under the skin pour une histoire des plus perturbantes, ou comment suggérer l’horreur sans ne jamais rien montrer.
L’histoire du film est assez simple : nous suivons le quotidien du commandant d’Auschwitz Rudolf Höss et de sa femme Hedwig. Seule particularité, leur maison est adjacente au camp de concentration. Adapté du roman de Martin Amis, le sujet est délicat mais finalement il n’est pas étonnant, au vu de la filmographie de Jonathan Glazer, de voir ce dernier s’y attaquer et surtout de le voir exceller dans l’exercice. Comment parler de la Shoah et de ses horreurs sans jamais la montrer ? Les spectateur·ices auront-iels le même ressenti que s’iels étaient face à un film qui affronte le sujet ? C’est là que tout le génie se déploie grâce à un travail sur la mise en scène et le son des plus remarquables.

C’est dans une démarche presque anthropologique que le réalisateur ausculte cette sombre période de l’Histoire en plaçant sa caméra dans différentes pièces de la maison du couple sous différents angles de vue. De ses nombreux plans fixes (ponctués par quelques rares travellings), il s’en dégage quelque chose de très anxiogène. Le cadre est froid, la musique angoissante, tout est fait pour mettre le/la spectateur·ice mal à l’aise. De son cadre, il utilise tout l’espace en jouant sur le second plan. Des détails qui pourraient paraître insignifiants si on ne savait pas ce qui se trame derrière ce mur de parpaing. Un boût de bâtiment, de la fumée… L’action principale est anodine (un déjeuner, une partie de cache-cache…), mais notre oeil est forcément attiré par ce qui se passe derrière, nous ramenant à une vérité terrifiante : si certain·es mourraient dans d’atroces souffrances, d’autres continuaient de vivre leur vie comme si de rien n’était. Les non-dits se font également à travers un minutieux travail sur le son. Jonathan Glazer nous suggère l’horreur à travers des coups de feu et des cris qui semblent aussi près que loin de nous. Cette sensation bizarre qui nous envahit lorsqu’on ne sait plus s’il faut suivre le quotidien du commandant ou s’horrifier de ce qui se passe dans le camp. Paradoxalement, le bruit si assourdissant des débuts finit par s’estomper, nous mettant ainsi dans une position encore plus inconfortable.
Avec son dispositif, Jonathan Glazer fait de son The zone of interest l’un des films les plus effrayants de ces dernières années. En seulement 1h46, il réussit à étirer le temps pour le rendre oppressant et fait le portrait glacial d’une humanité qui était – et qui l’est toujours – capable de s’accommoder aux pires horreurs possibles. Incarnant deux monstres – mais montrés de manière humaine – inflexibles, Christian Friedel est terrifiant et Sandra Hüller nous prouve qu’elle était bien la reine de cet 76e Festival de Cannes.
The zone of interest écrit et réalisé par Jonathan Glazer. Avec Sandra Hüller, Christian Friedel, Ralph Herforth… 1h46