Avec Searching, le duo Aneesh Chaganty et Seb Ohanian a fait sensation en 2018. Le film, mettant en scène les investigations d’un père à la recherche de sa fille disparue, utilise un procédé original, et définitivement témoin de son époque, en ne nous montrant que les interfaces virtuelles que le protagoniste engage pour mener son enquête. Une surprise que l’on n’a pas boudée, et sur laquelle nous n’allons pas revenir ici, puisque nous lui avons consacré une critique. Ce qui a cependant marqué, et qu’il est bon de souligner, c’est la vigueur et l’importance du montage du film, point névralgique de sa narration tant tout prend sens dans cet enchevêtrement d’écrans, de navigateurs, de fenêtres soudaines apportant des éléments-clés à cette aventure dont nous sommes tant observateur·ices que participant·es. Une prouesse que Will Merrick et Nick Johnson, alors accolés à la table de montage pour ici s’essayer à la réalisation, décident de renouveler avec Missing, suite plus spirituelle que directe, qui a la lourde tâche de surprendre à nouveau malgré un procédé déjà poussé très loin.
De sa mère Grace, June Allen aimerait bien être débarrassée. Sans douter de son amour, l’adolescente regroupant tous les clichés de cet âge rebelle où l’on teste ses limites à coups de soirées alcoolisées a besoin qu’on lui lâche la grappe, qu’elle puisse enrichir ses stories Instagram si chères à ses yeux, et d’autres obsessions qui n’ont d’important que l’auto-centrisme qu’elles lui provoquent. Ça tombe bien, Kevin, nouvel amant de maman, part quelques jours avec la trouble-fête pour un voyage romantique en Colombie. June s’étant enfin amusée comme il se doit, organisant dans la maisonnée une de ces American parties aux verres rouges et bleus où l’on perd tant dignité que smartwatch, il est temps pour elle d’aller chercher les tourtereaux à l’aéroport, sauf qu’un élément imprévu survient : Grace et Kevin n’arrivent jamais dans le hall d’entrée. Inquiétude première, alerte seconde, June, en parallèle d’une enquête du FBI qui commence à prendre place, utilise son ordinateur pour fouiner, user des éléments à sa portée pour découvrir le fin mot de l’affaire. Sa webcam allumée, nous avons un objectif, point de voyeurisme qui nous permet d’avoir dans le champ notre héroïne mais aussi son écran, et de procéder à notre tour à l’investigation.
Dans leur procédé, Merrick et Johnson n’entendent pas dépasser les limites franchies par Searching. Au-delà des nouvelles technologies à portée de June, comme les applications permettant d’engager quelqu’un pour accomplir des tâches du quotidien – ici en la personne de Javier, qu’elle engage en Colombie pour obtenir des bandes de télésurveillance et qui continue à l’aider dans l’avancée de l’enquête –, nous restons sur une interface classique d’écran d’ordinateur, où Facetime et Google deviennent nos interlocuteurs, détenteurs des réponses faisant avancer l’intrigue. On retrouve même une écriture – signée du duo de réalisateurs du précédent – similaire en de nombreux points. La distance observée entre June et sa mère, due entre autres au décès du père, est à mettre en parallèle au manque de communication qui désunit Margot Kim et son père. C’est dans l’union des liens familiaux que trouve la véritable clé du nœud narratif, le procédé servant à illustrer la déconnexion totale dont font preuve les personnages envers leurs proches, tous vampirisés par leurs écrans.
Toujours doté d’un sens du montage très fort, et surtout allant à toute vitesse, Missing met en œuvre une enquête faussement complexe, dont les principaux arcs sont des archétypes classiques de nombreux polars, mais qui se distinguent par la façon de jouer avec les innombrables rebondissements. En acceptant de suspendre son incrédulite et d’accepter le caractère improbable de certaines révélations – qui, à la réflexion, sont tout à fait acceptables –, on se laisse avoir, la tension nous atteint dans un exercice qui jamais ne relâche son rythme, nous mettant dans un état semi-tétanisé, semi-galvanisé par ce qui se passe à l’écran, et des éléments que l’on ne voit finalement pas venir, même si l’on a conscience que tout a pour principe de nous surprendre en constance. À ce titre, si l’on peut se questionner sur la pertinence d’une sortie sur grand écran, les limites du cadre étant pensée pour l’ordinateur, le langage par le montage a une dimension purement cinématographique, qui en rejoint la définition même. La salle imposant le silence et le rigueur d’attention, on joue un jeu qui s’avère finalement trop fort pour nous, et nous emporte dans une spirale à la fois jouissive et effrayante dans ce qu’elle dit de notre société, et de la façon dont toute apparence peut révéler des secrets bien malsains dès que l’on a accès au mot de passe de trop.
Sans avoir de discours trop prononcé – peut-être pas assez – sur cette omniprésence des moyens de surveillance, qui ici servent parfaitement l’enquête sans se questionner sur un “Big brother is watching you” pourtant évident, Missing met l’accent sur un voyeurisme opportuniste, qui permet à n’importe quel quidam d’avoir son avis sur les évènements – ici illustré par les nombreux commentaires qui pullulent les moments où June observe des vidéos rendues publiques. En point de détail du récit, qui sert avant tout le réalisme de ce décor virtuel, la présence en filigrane de l’émission de true crime Unfiction, sur Netflix, qui relate dans l’introduction les évènements du premier film et ceux auxquels nous venons d’assister en conclusion, définit parfaitement cette fascination morbide pour les affaires de mœurs. L’amie de June, Veena, prend l’émission pour une règle à penser dans le cadre de l’enquête, alors que les ayants droits de la plateforme tentent d’acheter son histoire à une gamine qui n’a pas encore retrouvé sa mère. Les meurtres et disparitions, surtout lorsqu’iels sont issu·es de faits réels, sont avant tout là pour nous divertir, peu importe les douleurs que leur évocation coûtent aux victimes et à leurs proches. “Qui regarde cette merde ?” s’esclaffe June en observant sa vie étalée dans ces nouveaux tabloïds seriels.
Searching-bis, avec une intrigue tout aussi bien ficelée, Missing parvient à parfaire l’exercice, la surprise en moins, mais l’excitation toujours présente. Il démontre surtout d’une qualité d’écriture indéniable, et d’une maîtrise de codes qui peuvent nous échapper si nous sommes face à nos écrans, mais qui ici retranscrits nous apparaissent fluides, compréhensibles dans les mains de June. À ce jeu, Storm Reid s’avère implacable, rendant chaque émotion crédible lorsqu’elle est omniprésente dans les plans. Son drame familial semblant en apparence farfelu se révèle profond, même s’il se conclut avec une certaine naïveté, critiquable en l’état mais correspondant au ton global d’un métrage qui s’assume, et qui, quitte à y laisser des plumes, va au bout de ses idées.
Missing, de Will Merrick et Nick Johnson. Écrit par Aneesh Chaganty et Seb Ohanian. Avec Storm Reid, Ken Leung, Nia Long… 1h41
Sorti le 22 février 2023