En ce moment le cinéma aime se faire écologique. Après la fable onirique proposée par La vache qui chantait le futur, place au brulot politique et à l’action dans Sabotage – adaptation du livre Comment saboter une pipeline d’Andreas Malm -. La menace de l’effondrement écologique n’est pas imminente, elle est déjà présente. Au lieu de se battre contre des institutions qui font la sourde oreille, il ne reste plus que l’action pour se faire entendre.
Que nous reste-t-il quand tout semble déjà perdu ? Un groupe de jeunes activistes trouvent sa réponse dans une action de grande envergure : l’explosion d’un pipeline dans l’ouest du Texas. Si nombre de films qui abordent l’activisme se demandent si l’action collective pouvait éviter la décadence morale et interrogent l’utilité de la violence, Sabotage – comme son nom l’indique – met les pieds dans le plat sans se soucier de ces questions, proposant aux spectateur·ices une expérience à vivre et à comprendre. Cette compréhension s’effectue par énormément de flashbacks qui, sans jamais couper le rythme de la narration, offrent des points de vue divers afin de mieux comprendre comment les préoccupations écologiques impactent chacun·es de nos protagonistes. La lutte dans laquelle iels s’engagent devient digne d’être vécue et entendue. La peur est réelle tout comme cette volonté de faire bouger les choses.

Tout exploser…
Ce n’est pas un manifeste, mais une représentation factuelle de l’indignation palpable d’une génération trahie. “C’était un acte de légitime défense”, explique Xochitl, une étudiante dont la mère est décédée lors d’une “canicule anormale”. De ce fait, elle en est venue à croire que la “non-violence stratégique” était inefficace. Un cas désespéré parmi tant d’autres qui trouvent enfin une satisfaction en se réunissant et en élaborant leur plan. Michael est un jeune Amérindien qui en veut aux plates-formes pétrolières qui détruisent sa patrie. Dwayne est un garçon texan passionné d’armes à feu qui en veut au gouvernement qui réquisitionne ses terres tandis que Shawn est déçu par la futilité de faire des films documentaires sur le changement climatique. Quant à Logan et Rowan, ils sont des militants chevronnés.
Goldhaber observe ce groupe avec beaucoup de patience, et alors même que le film raconte la tension palpable du moment, on ne perd jamais de vue leur humanité. Lorsque les choses tournent mal, il revient via des flashbacks pour découvrir comment tous les personnages sont arrivés là, ce qui imprègne le tout d’une émotion sombre. Il n’y a pas de gloire ou d’excitation dans ce qu’ils font parce que tout ce qu’ils ont vécu le rend nécessaire. Aucun d’elleux n’en parle à la légère, et le film est rempli d’une terreur suffocante. S’ils se trompent sur un détail, c’est leur vie qui est en danger.
Les détails du plan sont solides, bien qu’il ne puisse pas envisager toutes les variables possibles, car beaucoup de choses peuvent mal tourner – et finissent par mal tourner. Pourtant, cette volonté de tout risquer est la clé. Pour chacun d’elleux, faire face à tous ces risques et continuer à essayer est la réalité dans laquelle iels sont enfermé·es. Aucun des personnages ne se fait d’illusions sur tout cela, mais s’appuie sur la thèse centrale de Malm dans son bouquin sur la valeur critique de l’action radicale combinée à tout ce qu’iels ont fait auparavant.

… pour mieux reconstruire ?
L’interprétation des acteur·ices est la qualité indéniable de ce long-métrage avec en tête Forrest Goodluck en tant que Michael, expert en bombes autodidacte du Dakota du Nord, calme et maladroit. Probablement le rôle le plus difficile et complexe : sa maladresse le tient à distance des autres, mais sa passion et son engagement ont permis de construire une profonde confiance avec le reste du groupe. Goodluck représente parfaitement cet équilibre, entre colère bouillonnante et un calme absolu que requiert la tâche.
Sabotage s’écarte rapidement du film policier puisqu’ici il n’y a pas véritablement d’intrigues ni d’antagonistes. On aperçoit à certains moments des policier·es et enquêteur·ices sans que cela n’interfère, préférant se concentrer exclusivement sur le groupe de jeunes activistes.
S’il s’avère solide sur son fond, le long-métrage de Daniel Goldhaber l’est aussi sur sa forme en proposant des images impressionnantes. Goldhaber et sa directrice de la photographie Tehillah De Castro exploitent les vastes paysages américains, rappelant une beauté passée détruite par l’industrialisation. Les paysages tels que le Dakota du Nord enneigé, le Texas occidental et la Californie du Sud ensoleillée sont parasités par des usines qui produisent de la fumée en arrière-plan. En plus d’avoir un impact direct sur l’environnement aux alentours, l’industrialisation s’immisce dans nos vies, à l’image de ce plan mené d’une main de maître : Xochitl observe deux membres du groupe creuser un trou rectangulaire de la taille d’une tombe pour un baril de pétrole puis un flashback nous ramène à un cercueil descendu dans une tombe lors d’un enterrement, où elle et un autre personnage pleurent alors qu’un complexe industriel se dresse en arrière-plan.
Message et geste politique fort, Sabotage réussit à naviguer entre le film de braquage, le film politique et le drame pour nous proposer un autre regard, celui qui se veut plus virulent pour mieux se faire entendre. Un cri désespéré qu’on entend et qu’on vit avec tous les personnages pour mieux embrasser son aspect révolutionnaire.
Sabotage écrit par Daniel Goldhaber et Ariela Barer. Réalisé par Daniel Goldhaber. Avec Ariela Barer, Kristine Frøseth, Lukas Gage… 1h44
Sortie le 26 juillet 2023