Le sommeil est un concept très flou pendant les deux semaines qui constituent le Festival de Cannes : billetterie aux aurores, séances matinales, séances de minuit et films de trois ou quatre heures. Un manque de sommeil qui peut poser problème mais pas autant qu’aux personnages de Sleep, premier film de Jason Yu.
Soon-jin et Hyun-su attendent très prochainement un heureux événement. Ce que Soon-jin n’avait pas forcément prévu, c’est que son mari devienne du jour au lendemain somnambule. Si au début les crises n’ont rien d’inquiétant, elles le deviennent lorsqu’il commence à se faire violence et à avoir des comportements anormaux. Toute une mécanique est mise en place pour éviter tout problème et Soon-jin se dévoue corps et âme pour soutenir son mari dans cette épreuve. Cependant, la situation s’aggrave lorsque naît leur petite fille.

Jason Yu fait le choix d’un chapitrage divisé en trois parties pour justifier ses ellipses temporelles. On peut regretter le fait que les trois ne soient pas de la même qualité même si un vrai sens de la mise en scène s’en dégage autant lors des moments de pure horreur (le mari qui essaie de défoncer la porte de la salle de bain), de tension (le mari qui vient à tenter de se suicider ou la femme persuadée qu’il a tué leur enfant) ou de désespoir quand il s’agit de se raccrocher à Soon-jin. La première partie instaure de manière classique les enjeux du couple, à savoir trouver ce qui provoque le somnambulisme du mari et résoudre ce problème. La seconde quant à elle approfondit son propos de base pour y ajouter de nouvelles couches de lectures et de nouvelles thématiques avec notamment celui de la maternité, du côté de Soon-jin qui a accouché ou de sa propre mère qui s’immisce dans le couple en étant persuadée qu’un esprit est à l’origine de tout ça. C’est également dans cette partie que le couple prend une importance plus grande, nous questionnant ainsi sur la notion de couple et les sacrifices que cela peut engranger. Ici, Yu-mi Jeong déploie une palette d’émotions surprenantes à travers ce regard totalement épuisé et à la fois amoureux face à un Sun-kyun Lee totalement dépassé par les évènements.
La dernière partie quant à elle est plus surprenante dans la tournure horrifique qu’elle prend avec une mise en scène beaucoup plus appuyée, une ambiance encore plus lourde et des jeux de couleurs plus intenses. Elle laisse également place à plusieurs interprétations possibles – si tant est qu’il y en ait une -. Jason Yu nous propose un film très dense qui, s’il est plutôt bien maîtrisé dans sa forme, manque peut-être d’un petit quelque chose dans le fond qui aurait permis au long-métrage d’explorer plus longuement et de manière plus insidieuse toutes les thématiques développées auparavant.
Pour un premier tour de piste, l’ancien assistant de Bong Joon-ho nous dévoile déjà un univers bien singulier. Une belle force dans sa mise en scène et une proposition qui tient debout. Sleep aurait presque mérité sa place en Séance de minuit dans la Sélection officielle tant l’objet filmique est maîtrisé en plus d’être divertissant.
Sleep écrit et réalisé par Jason Yu. Avec Yu-mi Jeong, Sun-kyun Lee… 1h35