Le déni de grossesse touche entre 1 500 et 3 000 femmes par an en France mais reste encore tabou pour beaucoup de raisons. À partir d’un fait divers, la réalisatrice et scénariste Béatrice Pollet s’est emparée de ce sujet pour son second long-métrage.
Claire et Thomas forment un couple heureux en compagnie de leurs deux enfants. Elle est avocate tout comme sa meilleure amie Sophie avec qui elle a fait ses études. Tou·tes les trois profitent d’un temps de repos auprès de la piscine où s’entremêlent joie, rires et baignades impromptues. Pourtant, deux semaines plus tard, tout bascule pour Claire, et son mari la retrouve inconsciente et ensanglantée. Après qu’elle ait été emmenée aux urgences, il se retrouve au poste de police complètement déboussolé par la situation et pour cause, il est en garde à vue pour complicité de tentative d’homicide sur une personne de moins de 15 ans. Les pièces du puzzle se mettent rapidement en place, un nouveau-né a été retrouvé dans la benne à ordure en face de leur maison et cet enfant est celui de Claire. Une situation impensable pour son mari qui ne comprend pas comment il n’a pas pu voir qu’elle était enceinte ainsi que pour sa meilleure amie qui doit la défendre face à une justice qui a encore du mal à considérer le déni de grossesse comme une véritable complication obstétrique.

Si la grossesse ou le désir de grossesse sont des sujets qui ont déjà été abordé à maintes reprises au cinéma, celui du déni l’est beaucoup moins. Une question subsiste dans l’imaginaire collectif : comment ne pas se rendre compte qu’un être vivant grandit en soi depuis plusieurs mois ? Autant de zones d’ombre que la réalisatrice met en avant, à défaut d’y apporter une réponse. Claire vit une vie qu’on pourrait qualifier “d’idéale” : un travail reconnu et respecté, un mari aimant et deux enfants en parfaite santé. Rien ne peut la prédestiner à un tel destin. Là où la réalisatrice souhaite appuyer son propos, c’est sur la façon dont la justice n’arrive pas à traiter ces cas particuliers. Sans jamais prendre en compte la douleur physique et psychologique de Claire, elle est mise en détention, déjà jugée coupable d’infanticide, et n’est jamais considérée comme une victime, à l’image de cette séquence où elle retourne chez elle pour faire la reconstitution de cette soirée en compagnie de la procureure et du juge d’instruction.
Autour de ça, Sophie se doit de monter une défense solide pour sa meilleure amie bien qu’au début elle essaie également de comprendre comment ce drame a pu arriver. Tout au long de l’enquête, elle devient un véritable pilier pour sa meilleure amie, aidant ainsi au passage le/la spectateur·ice à comprendre ce que peut ressentir Claire. Si l’arc narratif de Sophie est bien moins passionnant à suivre – car plus attendu -, Géraldine Nakache incarne à merveille son personnage en faisant preuve d’une compassion et d’une douceur incomparable face à cette machine à broyer qu’est la justice française. Mayd Wyler quant à elle est saisissante et énigmatique avec une véritable puissance de jeu lorsqu’il s’agit de faire passer des émotions à travers son corps et les postures qu’elle adopte.

Même si la photographie assez froide qui languit vers le film documentaire peut être à double tranchant, Toi non plus tu n’as rien vu se révèle être une passionnante enquête qui va droit au but dans ce qu’elle veut raconter tout en nous interpellant sur ce sujet épineux. À l’heure où on se bat pour la liberté des femmes et leur droit à disposer de leur corps, dans les cas de déni total – avec abandon ou mort du nouveau-né – les femmes peuvent encourir jusqu’à la prison à perpétuité. Une zone d’ombre dans la justice française que le long-métrage de Béatrice Pollet réussit à mettre en avant avec pudeur sans pour autant occulter la dureté de son sujet.
Toi non plus tu n’as rien vu écrit et réalisé par Béatrice Pollet. Avec Maud Wyler, Géraldine Nakache, Grégoire Colin… 1h33
Sortie le 8 mars 2023